"Ça ne m'a jamais empêché de coucher" : vivre avec un herpès labial ou génital, ça fait quoi ?

"Ça ne m'a jamais empêché de coucher" : vivre avec un herpès labial ou génital, ça fait quoi ?

Aurélie, Mathieu et Laura vivent tous les trois avec l'herpès depuis plusieurs années. Pour NEON, ils racontent comment ils ont contracté le virus, et appris à vivre avec.

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Trop souvent, le virus de l'herpès est associé à une maladie "honteuse" et "sale". C'est oublier à quel point l'infection est répandue : selon l'OMS, 3,7 milliards de personnes de moins de 50 ans - soit la moitié de la population mondiale - sont infectées par le virus de type 1, responsable de l'herpès labial. De leur côté, 417 millions de personnes âgées entre 15 et 49 ans sont touchées par le virus de type 2, transmis par voie sexuelle et à l'origine des herpès génitaux.

Avoir de l'herpès est donc bien plus courant qu'on ne le croit, mais le virus reste paradoxalement très méconnu à travers le monde. Et c'est précisément cette ignorance autour de la maladie qui entretient les stéréotypes et stigmatise les personnes porteuses du virus. Pour y mettre fin et libérer la parole, Mathieu, Laura et Aurélie, qui vivent tous les trois avec le virus depuis plusieurs années, ont accepté de raconter leur expérience.

Mathieu, 24 ans, a attrapé un herpès génital en Nouvelle-Zélande

"J'étais en Nouvelle-Zélande, il y a environ 5 ans, quand j'ai ressenti une gêne au niveau de l'urètre pour la première fois. Je n'ai pas tout de suite pensé à l'herpès, car il n'y avait pas d'éruptions cutanées visibles. Juste une sensation de brûlure quand j'urinais ou pendant l'éjaculation. J'ai déboursé une petite fortune chez le médecin pour trouver une explication à mon problème - j'ai eu un traitement pour l'infection à la chlamydia, un autre pour traiter les mycoses, mais rien ne fonctionnait.

En rentrant en France, j'ai fait un bilan sanguin complet, et c'est comme ça que j'ai su que j'étais porteur du virus HSV-2, responsable de l'herpès génital. À ce moment-là, je ne connaissais rien à la maladie, je ne savais même pas si c'était ma copine de l'époque qui me l'avait refilée ou une fille rencontrée lors de mon voyage. Je me souviens juste d'avoir flippé quand le médecin m'a expliqué que je devrai vivre avec toute ma vie.

Je n'ai pas eu de rapports sexuels pendant un an après mon diagnostic - pas par honte, mais parce que l'occasion ne s'est pas présentée. Mais plus les mois passaient, plus je stressais à fond en pensant à ce moment fatidique. Comment annoncer la chose sans susciter la panique ou le dégoût dans les yeux de mes futures partenaires ?

Il faut dire qu'il y a une réelle ignorance autour de la maladie. Quand on en parle, c'est souvent à travers des blagues dégradantes ; on imagine que la personne porteuse d'un herpès est forcément "crade", qu'on peut contracter la maladie n'importe quand et n'importe comment - alors qu'en réalité, il y a un risque d'infection uniquement pendant une poussée d'herpès. Forcément, toute cette stigmatisation n'aide pas à assumer sa maladie.

Du coup, 5 ans après, j'ai toujours beaucoup de mal à en parler à mon entourage proche. Il y a juste trois ou quatre amis qui sont au courant. Ça m'étonne un peu car je n'ai jamais été du genre à avoir honte de quoi que ce soit. Je ne me prends jamais au sérieux, je parle ouvertement de mes faiblesses, même les plus intimes ! Mais ça, ça bloque.

Les seules personnes à qui j'en parle systématiquement, évidemment, ce sont mes partenaires sexuelles. Et curieusement, c'est dans l'intimité que j'assume le plus ma condition. Je croyais que ce serait un frein dans ma sexualité, alors qu'en fait pas du tout, ça ne m'a jamais empêché de coucher (rires).

Je me rappelle de la première fois que je l'ai annoncé à une fille, un an après avoir contracté le virus. On était en train de se chauffer, c'était cool, et puis j'ai pris mon courage à deux mains pour lui annoncer. Je ne vais pas cacher que j'étais stressé, et que ça a jeté un froid au début. On n'a rien fait le soir même, mais on s'est revu le lendemain, on a couché ensemble et ça s'est très bien passé.

Avec le temps, j'ai appris à dédramatiser la situation. J'essaye d'amener les choses avec humour et le plus de décontraction possible. Je prends le temps de bien expliquer les choses, de répondre à toutes les questions qui me sont posées, je montre que je prends toutes les précautions nécessaires : capote obligatoire, pas de fellation sans capote pendant une crise, etc. Et franchement, aucune fille n'est jamais partie au courant.

Aujourd'hui, ça fait un an que je suis en couple. On se protège avec ma copine quand il y a une poussée d'herpès, mais en dehors de ça, notre sexualité est tout à fait normale. Preuve qu'on peut être épanoui dans sa vie intime et amoureuse même avec une IST ! Et si un jour j'arrive à assumer mon herpès auprès de mon cercle d'amis, alors j'aurai tout gagné."

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Laura, 27 ans, vit avec un herpès labial depuis l'enfance

"J'ai l'impression que l'herpès a toujours fait partie de ma vie. Dès l'école primaire, les poussées étaient très fréquentes : j'avais régulièrement un gros placard sur la lèvre, dont j'avais terriblement honte. Certains élèves se moquaient, d'autres m'assommaient de questions. Moi, j'avais juste envie de me cacher.

À l'adolescence, les poussées sont devenues encore plus fréquentes. Un bouton apparaissait à peu près tous les mois sur ma bouche, en particulier pendant mes concours équestres, à cause du stress et de la fatigue, mais aussi pendant les premiers soleils ou les changements de saison.

J'en avais tellement marre que j'ai commencé un traitement de fond. Pendant à peu près un an j'ai été tranquille, zéro bouton à l'horizon ! Et puis tout est revenu d'un coup… Sauf que cette fois c'était pire que tout : je me suis retrouvée avec plusieurs boutons en même temps, disséminés sur l'ensemble de ma bouche. Psychologiquement c'était l'horreur. Je me sentais moche, je n'avais plus du tout confiance en moi. Et puis c'était très douloureux.

Par chance, les choses se sont calmées en prenant de l'âge. Mes poussées sont devenues beaucoup plus espacées et moins impressionnantes. J'ai aussi appris à prendre du recul sur ma situation. J'essaye de me répéter que même si, pour moi, mes boutons sont affreux, les autres s'en fichent un peu.

Mais il y a toujours des moments où c'est difficile à vivre, évidemment. Je crois que le pire, c'est la frustration émotionnelle et affective que ça engendre chez moi. Quand j'ai une poussée, je dois faire très attention à tous mes mouvements pour ne pas transmettre le virus. Ça implique de ne pas embrasser ma conjointe, d'éviter les étreintes et les rapports sexuels. Alors que c'est justement le moment où j'aurais besoin d'être câlinée et embrassée, car mon moral est au plus bas…

Il y a heureusement plein de petits trucs qui m'aident à tenir quand je suis en crise. Depuis le covid par exemple, je peux planquer mes boutons de fièvre sous un masque, ce qui est vachement pratique ! Je peux aussi compter sur le soutien de mon entourage, échanger avec des personnes dans la même situation que moi. Je me rappelle d'une collègue de boulot qui m'a sacrément remonté le moral, un jour où je n'allais pas bien. Elle m'a répété que je n'étais pas responsable de mon herpès, que je prenais toutes les précautions qu'il fallait et surtout que je n'étais pas un cas isolé. Ça m'a libérée d'un poids.

Un autre truc qui m'aide à me sentir moins seule, c'est de regarder Koh-Lanta (rires). C'est peut-être débile, mais dans chaque saison il y a un candidat qui finit par avoir un herpès, à cause des conditions intenses de l'émission. Les poussées arrivent en général pendant les grosses confrontations, et je les repère toujours ! Ça banalise un peu la maladie, de la voir sur le poste de télé. En tout cas moi ça me permet de relativiser un peu."

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Aurélie, 35 ans, a contracté l'herpès génital avec son compagnon

"J'ai fait la connaissance de mon partenaire sur un site de rencontres, il y a un peu plus de deux ans. À l'époque, il habitait encore en Guyane. Après avoir échangé en ligne pendant plusieurs mois, j'ai décidé de prendre l'avion pour le retrouver. Quand on s'est vus en chair et en os pour la toute première fois, on s'est tout de suite sautés dessus ! Je me rappelle que ce jour-là, il avait un tout petit bouton sur la lèvre. Il était si petit que je ne me suis pas posée de questions.

Pendant trois jours, j'avais l'impression de vivre un rêve éveillé. Et puis j'ai commencé à me sentir mal. Grosse fatigue, fièvre, douleurs génitales. Dans l'avion pour rentrer en métropole, mon état a empiré. Je ne pouvais même plus me rendre aux toilettes à cause de la douleur. C'était comme d'avoir une infection urinaire, mais en mille fois pire.

Une fois en France, je suis allée chez le médecin en catastrophe. J'avais 41 de fièvre. La consultation s'est très mal passée. J'ai expliqué ma situation au médecin, en précisant que je revenais de Guyane où j'avais retrouvé l'homme avec qui j'échangeais en ligne, que nous avions fait l'amour et que j'avais ressenti des douleurs quelques jours après. Il me dévisageait avec énormément de jugement, ce qui m'a mise très mal à l'aise. Au bout d'un moment, il a fini par dire, en soufflant presque : "Bon bah, vous voulez que je regarde ?" Je n'ai pas accepté et je suis partie.

Le soir j'ai pris un covoiturage pour passer quelques jours chez mes parents. Quand mon père est venu me récupérer et qu'il a vu l'état dans lequel j'étais, il m'a immédiatement conduite à l'hôpital. Un gynéco m'a auscultée et le verdict est tombé : je souffrais d'un herpès génital, que j'avais contracté à cause du bouton de fièvre de mon copain, qui m'avait fait un cunnilingus.

Le premier truc auquel j'ai pensé, c'est que les poussées d'herpès allaient se réactiver souvent. Je me suis dit : "Toute ma vie maintenant c'est ça, je vais devoir vivre avec ce truc pour toujours." Résultat, deux ans plus tard, le virus s'est déjà réactivé trois fois.

Par chance, mes crises sont moins douloureuses que la première. Mais elles s'accompagnent de grosses fatigues et d'une crainte permanente de refiler le virus.

Dans ma vie de tous les jours, ça ne me préoccupe pas tellement. J'y pense seulement quand j'ai une poussée. Mais je n'arrive pas encore à assumer complètement le fait d'avoir un herpès. Mes parents ne sont pas au courant, par exemple. J'en ai juste parlé à quelques amis proches.

Inconsciemment, je pense que j'ai peur que l'on me juge. Qu'on pense que je suis sale ou que j'ai des pratiques sexuelles douteuses. C'est vraiment ce regard de jugement qui me fait peur, le même qu'a eu le médecin quand je lui ai expliqué ma situation.

Aujourd'hui je dirais que ce qui m'aide à tenir c'est le fait d'être en couple avec la même personne depuis que j'ai eu le virus. Si j'avais été célibataire avec des partenaires multiples, j'aurais été obligée de les prévenir à chaque fois. Et je pense que ça aurait vraiment compliqué mon existence."

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