Le lait pour enfants, un produit qui se fait rare au Liban
Le lait en poudre pour enfants risque-t-il de disparaître complètement des rayons prochainement ? Depuis que la crise économique s’est intensifiée, de plus en plus de parents d’enfants en bas âge se plaignent de devoir faire la tournée des pharmacies pour acheter du lait à leur progéniture. En cause, selon certains, le stockage de ces produits par les fournisseurs en vue de le revendre plus cher, lorsque le taux du dollar aura augmenté sur le marché noir. Face à cette situation, nombreux sont les ménages qui emmagasinent désormais des produits chez eux, au risque d’alimenter le cercle vicieux de la pénurie.
Philippine Khoury, mère de famille de 35 ans, a dû se rendre cette semaine dans 5 pharmacies de la capitale avant de trouver une boîte de lait pour son fils âgé d’un an. « Il n’y avait aucune boîte dans aucune pharmacie. Il ne restait qu’une seule boîte dans le cinquième établissement dans lequel je me suis rendue. On sent clairement que certains produits commencent à manquer », soupire-t-elle. « Je n’avais pas fait de stocks avant, mais je pense que je vais m’y mettre dès que possible. On ne peut pas se permettre de manquer de lait quand on a un enfant », lance Philippine. « Avant, il m’arrivait de ne pas trouver la marque que je cherchais, mais il y avait quand même d’autres marques de lait disponibles. C’est la première fois que je sens qu’il y a vraiment un problème », souligne-t-elle. Jeudi, le ministère de l’Économie a annoncé avoir effectué des perquisitions dans plusieurs entrepôts appartenant à des importateurs de lait pour enfants. Le ministère indique avoir dressé des contraventions pour « monopolisation de marchandise ».
Mohammad Abou Haïdar, directeur général du ministère, indique avoir remarqué que certaines compagnies vendent moins de lait que l’année dernière, alors qu’elles ont des produits. « L’excuse de ces fournisseurs, c’est qu’ils n’ont pas encore été payés par la Banque du Liban (BDL). Je comprends leur situation, mais je ne peux pas accepter que des enfants puissent manquer de lait. C’est un produit essentiel. Quelle que soit la cause, la situation est critique, puisqu’il y va de la sécurité alimentaire des enfants », estime-t-il.
Pour mémoire
Stockage et pénuries de médicaments : le cercle vicieux s’installe
Une pharmacienne de la banlieue de Beyrouth confirme que certaines catégories de lait pour enfants manquent sur les rayons. « C’est le lait pour les enfants âgés de 2 à 3 ans qui est le plus difficile à trouver. Sauf qu’il n’est pas subventionné par la BDL, ce qui veut dire que les fournisseurs peuvent demander les prix qu’ils veulent. Je ne comprends donc pas pourquoi ils le stockeraient », analyse-t-elle, sous le couvert de l’anonymat. « Nous ne manquons pas de lait pour les plus jeunes, mais nous recevons les boîtes au compte-gouttes », ajoute la pharmacienne. À noter que le lait pour enfants de moins d’un an est subventionné par le ministère de la Santé au taux de 1 585 LL pour un dollar, tandis que celui pour les enfants ayant entre 1 et 2 ans est soutenu par le ministère de l’Économie au taux de 3 900 LL pour un dollar.
« J’avais déjà mon stock »
Face au risque de pénurie et à l’augmentation rapide des prix, de nombreux parents sont en train de stocker du lait chez eux, mais aussi des couches. Béatrice Harb, styliste de 37 ans, a commencé à s’approvisionner dès le soulèvement populaire d’octobre 2019. « J’ai fait un stock de couches pour un an et demi. Puis j’ai acheté du lait pour six mois. J’en ai encore pour deux mois », explique Béatrice, qui est mère d’une fille de 2 ans et demi et d’un garçon âgé d’un an.
« Il y a eu un moment où il n’y avait plus de lait nulle part, mais j’avais déjà mon stock, » lance-t-elle. Béatrice avoue qu’après avoir parcouru un grand nombre de pharmacies, du nord au sud, elle a décidé de s’approvisionner directement auprès du fournisseur. « J’ai très peur d’arriver à un moment où il n’y aura plus de lait. Déjà que les prix ont doublé. Donc j’ai directement contacté le fournisseur. Mais je dois faire attention aux dates d’expiration. J’attends les nouveaux arrivages pour me réapprovisionner », explique-t-elle.
Outre les particuliers qui stockent chez eux, Zouhair Berro, président de l’Association pour la protection des consommateurs, explique que « les commerçants emmagasinent également beaucoup de produits parce que le programme des subventions de la BDL pourrait bientôt changer ».
« Il n’y a aucun produit qui manque au Liban, mais il y a beaucoup de monopoles », soupire-t-il. « Il y a certes moins d’importations avec la crise, mais tous les produits sont là », indique M. Berro, qui met en garde contre le risque de voir les produits arriver à expiration, « ce qui fait craindre des problèmes au niveau de la sécurité sanitaire ». « Il y a stockage, en attendant d’avoir les nouveaux taux du dollar et de vendre plus cher. Les importateurs libanais font des profits très élevés », dénonce-t-il.
Un système « qui fonctionne mal »
Hani Bohsali, président du syndicat des importateurs de produits alimentaires, dément quant à lui tout stockage de la part des fournisseurs dans le but de revendre à des prix plus élevés. « Le commerçant qui obtient une subvention de la BDL pour acheter des produits doit s’engager à vendre cette marchandise à un prix spécifique. Il ne peut donc pas changer les prix à sa guise. Les grandes compagnies s’y conforment et tiennent à préserver leur réputation », indique-t-il à L’OLJ.
M. Bohsali dénonce une ruée des consommateurs vers les produits, tout en disant comprendre les motivations des Libanais. « Beaucoup de gens stockent du lait pour enfants chez eux. Peut-on réellement parler de pénurie quand on sait que la majorité achètent cinq boîtes au lieu d’une ? En même temps, je comprends que les gens prennent peur dans les circonstances actuelles et décident de s’approvisionner, mais il ne faut pas jeter le blâme sur les importateurs », souligne-t-il. « On n’a ni les moyens ni les crédits pour importer plus que cela. La pénurie s’explique par l’excès au niveau de la demande des clients ainsi que par les difficultés auxquelles les importateurs font face. »
Les importateurs doivent attendre que la BDL les rembourse avant de mettre leur marchandise en vente. « Il faut souvent attendre deux mois pour que la BDL paie. Or le commerçant ne peut pas vendre s’il ne garantit pas le paiement de la Banque centrale », ajoute M. Bohsali, avant de conclure : « C’est tout un système qui fonctionne mal et c’est le consommateur qui paie les pots cassés. »