Christian Dior : comment, en un défilé, le créateur a révolutionné la mode avec son New Look
Son style ultra-féminin, reconnaissable à ses jupes corolles et à ses tailles marquées a fait mouche immédiatement. Le 12 février 1947 à 10h30, lorsqu’il présente sa première collection dans les salons de sa maison installée au 30 avenue Montaigne, Christian Dior ne le sait pas encore mais il est en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire du style. Inconnu du grand public, il ne l’est pas de la presse spécialisée, qui a suivi ses débuts chez Robert Piguet et Lucien Lelong, où il officiait précédemment.
Cependant, c’est une allure novatrice et personnelle qui dévoile ce jour-là. Les lignes Corolle et En Huit, qui composent cette première collection de quatre-vingt-dix silhouettes sont emblématiques d’une élégance et d’une féminité oubliées pendant la guerre. Loin de l’utilitarisme, Christian Dior entend bien remettre la fantaisie à la mode. Les ourlets sont mi-longs, les jupes et les robes sont pleines et la taille est cintrée, comme un hommage aux courbes féminines. Et bien que les restrictions de tissus soient toujours en vigueur, cela n’empêche pas le couturier de proposer des créations aux proportions éblouissantes. Pièce de résistance de cette première présentation, le tailleur Bar remporte tous les suffrages. Composé d’une jupe en laine plissée et d’une veste en shantung de soie à basque aux hanches subtilement rembourrées, il est le symbole de ce renouveau. «
Il a pourtant été compliqué à concevoir. Frustré de ne pas trouver de mannequin qui réponde à ses exigences, il refaçonne lui-même un Stockman à grands coups de marteau afin d’obtenir les proportions désirées. « Nous sortions d’une époque de guerre, d’uniformes, de femmes-soldats aux carrures de boxeurs », écrit-il dans son autobiographie, « Christian Dior et moi », parue en 1956. « Je dessinai des femmes-fleurs, épaules douces, bustes épanouis, tailles fines comme lianes et jupes larges comme corolles. Mais on sait que de si fragiles apparences ne s’obtiennent qu’au prix d’une rigoureuse construction. Pour satisfaire à mon souci d’architecture et de forme précise, une technique toute différente de celles alors en usage était nécessaire. Je voulais que mes robes fussent « construites », moulées sur les courbes du corps féminin dont elles styliseraient le galbe. »Retravaillée depuis par tous les directeurs artistiques qui ont succédé au couturier fondateur, cette silhouette est indissociable de l’époque et du style Dior.
Succès sans égal, ce premier défilé catapulte la maison sur le devant de la scène mode internationale. La griffe ayant été la dernière du circuit parisien à présenter sa collection, elle l’a principalement fait devant la presse, les acheteurs américains étant repartis pour New York sans attendre ce show. Mais dans la salle, une journaliste va résumer ce que tout le monde pense et donner, sans le savoir, son nom à cette nouvelle tendance. Carmel Snow, rédactrice en chef du magazine « Harper’s Bazaar », tient à féliciter le couturier. « Dear Christian, your dresses have such a new look », lui adresse-t-elle. L’expression fera date et définira ce courant qui, en à peine deux heures, vient de ringardiser les penderies de femmes du monde entier.
Mais le ravissement n’est pas unanime. A Paris, certains reprochent à Christian Dior l’ostentation dont font preuve ses créations. Pas moins de quarante-cinq mètres de tissus sont parfois nécessaires pour la confection des élégants plissés auxquels il a recours, une richesse qui passe mal dans la France traumatisée de l’après-guerre où la population a encore recours aux tickets de rationnement. Tant et si bien qu’une mannequin est un jour attaquée en pleine rue durant un shooting, sa jupe déchirée par une foule mécontente.
Le caractère quelque peu suranné de son style fait également naître les critiques. Si Coco Chanel et Paul Poiret ont avant lui tenté de libérer la femme des corsets et autres fanfreluches auxquelles est abonnée la gent féminine depuis des siècles, Christian Dior imagine des tenues complètes comprenant guêpières et corsets. Un retour en arrière pour certaines, qui voient également d’un mauvais œil ses ourlets midi, accusés de cacher les jambes des femmes. Réunies dans un collectif baptisé « Little Below the Knee Club », certaines Américaines protestent contre le New Look et accueillent le couturier sous les huées lors de son arrivée à New York en septembre 1947. Mais c’est pour se voir remettre le prestigieux « Oscar de la mode » des magasins Neiman Marcus que le designer fait avant tout le déplacement. En quelques mois, il a en effet conquis le monde entier et le grand magasin ne s’y est pas trompé. Le 9 septembre, il est récompensé à Dallas, aux côtés d’un bottier italien qui laisse également son empreinte dans la mode, Salvatore Ferragamo.
Lorsque Christian Dior décède prématurément d’une crise cardiaque lors d’une cure thermale à Montecatini le 24 octobre 1957, il a fait plus pour la mode en une décennie que d’autres couturiers durant toute leur carrière. Le style Dior est omniprésent, des films hollywoodiens à la bonne société et la royauté qui s’arrachent les créations de la maison tandis que les moins fortunées et les plus débrouillardes confectionnent leurs propres versions des pièces les plus populaires. Un engouement toujours aussi vif aujourd’hui, sous la direction artistique de Maria Grazia Chiuri, nommée à ce poste en 2016.