Gastronomie : la Vache qui rit se gondole en Afrique

Gastronomie : la Vache qui rit se gondole en Afrique

Implantée depuis plus de cinquante ans sur le continent, la marque française La Vache qui rit a su se rendre indispensable grâce à un produit nourrissant, facile à conserver et peu cher. La love story n’est pas qu’une affaire de goût.

Elle est partout. Dans les linéaires des grands supermarchés où elle terrasse la concurrence d’un coup de sabot, dans des épiceries relookées aux couleurs de la marque, étalée sur des tartines ou des galettes dans de petites échoppes, proposée à la portion par des vendeurs de rue jusque dans les écoles… Elle, c’est évidemment La Vache qui rit. Le drôle de bovidé vermeil et hilare a fait du groupe français Bel le premier fromager de l’Afrique.

Les chiffres donnent le tournis : en 2015, Bel commercialisait ses produits dans 44 pays d’Afrique, y réalisait 338 millions d’euros de chiffre d’affaires et employait pas moins de 3 500 collaborateurs sur place, soit près de 30 % de son effectif total. La Vache qui rit n’est certes pas le seul aliment lacté commercialisé par le géant de l’industrie fromagère : on y trouve aussi du Kiri ou des déclinaisons locales comme la marque Les Enfants, au Maroc.

Mais le poids du bovidé reste écrasant. Et la marque, tellement appréciée qu’elle est régulièrement contrefaite ou imitée. Une société de Tanger, Fromalim, a même mis en rayon La Vache bonheur, puis La Vache aimée – celles-ci et leur grande sœur se ressemblant comme deux gouttes de lait.

L’Algérie, premier marché mondial

Comment expliquer le succès de la bête à cornes ? D’abord elle s’est implantée depuis longtemps sur le continent. Créée en France en 1921, rapidement commercialisée en Grande-Bretagne, elle a fait ses premières ruades au Maghreb il y a plus de cinquante ans. Des boîtes ont été vendues au Maroc au début des années 1970 et ont été suffisamment appréciées pour entraîner la création d’une usine Bel en 1977 à Tanger, à une époque où Bel était seul sur le créneau de la pâte fondue de grande consommation dans le pays.

Cette unité de fabrication est aujourd’hui la plus grande présente à l’international… sachant que seize usines existent dans le monde, du Vietnam au Portugal en passant par la Turquie. En 1998, Bel s’implante au Caire ; en 2002, à Alger ;

L’Algérie est actuellement le premier marché mondial pour La Vache qui rit, devant le Maroc. Mais si l’on se focalise sur l’Afrique subsaharienne, c’est le Sénégal qui est le premier contributeur en volumes de vente, avec près de 150 grossistes qui écoulent les portions à Dakar et en province.

Gastronomie : la Vache qui rit se gondole en Afrique

Une recette différente selon le pays

Le produit se consomme aussi bien dans les foyers qu’au fin fond du désert, car les portions se conservent particulièrement bien. Lors du conditionnement, la pâte fromagère est coulée encore chaude dans une coquille d’aluminium ; un « couvercle » est ensuite posé et soudé sous l’effet de la chaleur.

L’emballage, d’une épaisseur de 6 microns (dix fois moins que celle d’une feuille de papier classique), suffit à préserver les vitamines et les sels minéraux sensibles à la lumière, à l’oxygène et au dessèchement. Selon Eric de Poncins, directeur général développement et prospective : « Les portions peuvent se conserver jusqu’à douze mois sans réfrigérateur. » Autre astuce packaging : sur les boîtes, une bande adhésive rayée garantit l’inviolabilité du produit.

Si le ruminant cartonne, c’est aussi grâce à ses propriétés nutritionnelles…, ce qui permet de revenir sur un mythe. Non, le produit n’est pas fabriqué à partir de croûtes de fromage ! C’est du moins ce qu’on apprend en visitant la Maison de la Vache qui rit, à Lons-le-Saunier, située sur l’ancien site de fabrication des premières portions, en Franche-Comté, dans l’est de la France.

La recette, soigneusement tenue secrète, est un mélange de fromages à pâte pressée (emmental, gouda, édam, cheddar), de lait, de beurre, de poudre de lait, de sels de fonte (polyphosphates) et d’acide citrique pour corriger l’acidité. Mais, surtout, la recette diffère d’un marché à l’autre !

L’argument nutritionnel

« Sur tout le continent africain, les portions sont renforcées en calcium, en vitamine D et en fer, révèle Laurent Bourdereau, directeur de la Maison de la Vache qui rit. L’argument nutritionnel est fort. Quand nous avons voyagé à Dakar pour les besoins d’une exposition, nous avons rencontré des mamans qui en achetaient pour favoriser la croissance de leurs enfants, mais aussi des personnes âgées qui en mangeaient quotidiennement pour renforcer leurs os. »

Beaucoup d’événements sont organisés dans les écoles pour sensibiliser enfants, parents… et futurs consommateurs. « J’ai vu des établissements dans lesquels le groupe organisait des chants, des danses avec près de 500 élèves, des ateliers pour apprendre à équilibrer un repas… », note Laurent Bourdereau.

Via sa fondation d’entreprise, le groupe Bel soutient financièrement, à hauteur de 25 000 euros, SOS Sahel, une ONG qui cherche à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des communautés rurales d’Afrique subsaharienne. Premiers concernés : les enfants, les femmes enceintes ou allaitantes.

Développement en Afrique subsaharienne

Dernier atout de La Vache qui rit : elle se vend aussi en Afrique à la portion dans de petites boutiques, dans des cafés, sur les marchés, présentant l’avantage de pouvoir profiter rapidement du produit pour une somme modique, une quinzaine de centimes d’euro tout au plus. En Europe ou en Amérique, ce mode de consommation est marginal, mais en Afrique, sur les 12 milliards de portions de Vache qui rit (70 000 t) commercialisées en 2012, un quart l’était à l’unité. Et le chiffre tend naturellement à augmenter depuis que la marque mise sur les vendeurs de rue.

La mise en place d’une micro-usine à Abidjan, en décembre 2015, capable de produire 100 000 portions par jour, prouve que le groupe Bel, déjà très présent au Maghreb, entend maintenant se développer un peu plus en Afrique subsaharienne. La société française affichait ces dernières années des taux de croissance de 8 % sur le continent… Sa vache emblématique n’a pas fini de meugler de plaisir en Afrique.


La vache Arty

Imaginez les pirogues des pêcheurs de Saint-Louis remaniées par une graphiste française, Valérie Besser, reprenant discrètement les codes visuels de la marque au bovidé. Plus loin, des peintures sur verre et des graffitis du jeune artiste sénégalais Vitau Mendy, qui reproduit des scènes de la vie courante (« cars rapides » surchargés, lessives en pleine rue…) en y insérant le célèbre logo…

Le temps d’une riche exposition temporaire présentée jusqu’en mai 2019, la Maison de la Vache qui rit a invité cinq créateurs à découvrir un peu du quotidien de Dakar, de l’île de Gorée ou encore des rives du parc national du Djoudj. À travers des sons, des contes, des formes variées (tricots de Sophie Dalla Rosa, sculptures métalliques de Meissa Fall, qui recycle des vélos pour en faire des objets d’art…), l’événement réussit son pari : nous faire voyager loin de la Franche-Comté… et des clichés.


À grignoter nature, tartiné ou fondu

En Afrique subsaharienne, la pâte fromagère se consomme assez classiquement sur du pain. À Kinshasa, le groupe a incité avec succès des mamans ya mapas (mamans « vendeuses de pains » que l’on retrouve un peu partout dans les rues) à commercialiser des tartines de Vache qui rit plutôt que de margarine.

La pratique se développe aussi à Brazza et à Abidjan. Au Maghreb, le fromage se mange tel quel au petit déjeuner, mais aussi dans des salades, des cheese-cakes, ou fondu dans des msemen. Au Maroc, il peut même se tartiner sur des petits pains pour accompagner le « fromage rouge » (de l’édam). Oui, vous avez bien lu : du fromage pour accompagner le fromage.