En Haute-Savoie, un maire refuse d’inscrire le prénom d’usage d’une femme transgenre sur sa plaque funéraire

En Haute-Savoie, un maire refuse d’inscrire le prénom d’usage d’une femme transgenre sur sa plaque funéraire

A Thonon-les-Bains, Manon ne peut pas reposer en paix : le maire de la ville refuse que le nom d'usage de cette jeune femme trans, qui s'est suicidée, figure sur la plaque funéraire. Sa famille a entamé un bras de fer, au nom de la dignité de leur fille.

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Elle s’appelait Manon*. En juin 2020, la jeune femme de 28 ans a décidé de mettre fin à ses jours. Dévastés par cette nouvelle, ses parents doivent, en plus, faire avec un problème inattendu : le maire (divers droite) de Thonon-les-Bains, Christophe Arminjon, s’oppose à ce que le prénom d’usage de leur fille, qui avait entamé sa transition en tant que femme plusieurs années auparavant, soit inscrit sur la plaque funéraire, révèle Mediapart.

Dans un courrier adressé en juillet 2020 aux parents de Manon, qui l’avaient contacté suite à la manifestation de son refus, le maire de la commune leur rappelle un article du Code général des collectivités territoriales qui veut qu’«aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire». À ce titre, ce dernier est autorisé à interdire une inscription lorsqu’elle porte «manifestement atteinte à l’ordre public» dans le cimetière ou «à la dignité du défunt». Le maire ajoute que le changement de prénom n’a pas été officialisé. Il accepte donc uniquement que «Manon» soit accolé au «dead name» (terme employé pour désigner le prénom donné à la naissance dans le cas d’une personne trans) sur la plaque funéraire, une solution loin de satisfaire les parents de Manon.

“Mes clients ont tout à fait accepté que l’ancien prénom soit inscrit sur le registre de la mairie et sur l’urne cinéraire car ils savent que le changement d’état civil n’avait pas encore pu être officialisé”, explique à Mediapart Maître Magaly Lhotel, l’avocate de la famille. “Mais dans le columbarium, ils ont voulu apposer une plaque avec le nom de Manon qui était le prénom d’usage de leur fille depuis près de quatre ans”, ajoute l’avocate. “Aujourd’hui, ils ont l’impression de trahir leur enfant en venant se recueillir devant une plaque qui ne porte pas son prénom.”

“Mais quels parents serions-nous d’accepter cela?”

La mère de Manon n’a, alors, pas manqué de répondre à l’élu. Dans sa lettre, l’émotion est palpable. “Mais quels parents serions-nous d’accepter cela? Notre enfant mérite-t-elle cela? A-t-elle commis un crime? Est-elle responsable de cette infortune de la nature? Ça sonne comme une punition. Des trans, il en existe partout dans le monde! Chez nos pays voisins, c’est un habitant sur 500. En France, on ne compte pas. Ni vus ni connus”, déplore-t-elle. “Beaucoup se suicident ou sont psychiatrisés. Aucun d’eux ne recommande ces vies-là. Ils les subissent et font ce qu’ils peuvent avec”, ajoute-t-elle.

En Haute-Savoie, un maire refuse d’inscrire le prénom d’usage d’une femme transgenre sur sa plaque funéraire

La mère de Manon balaie ensuite soigneusement les arguments du maire, un à un. Pour l’absence d’officialisation du changement de prénom à l’état civil, elle répond : “Ma fille est morte avant de demander un changement à l’état civil. Oui. Parce que le parcours est long, semé d’embûches, éprouvant, qu’il demande courage et persévérance et qu’elle est décédée avant l’achèvement du parcours. Mais que lui auriez-vous accordé plus tôt que vous ne lui accordez pas alors qu’elle est morte! ” La mère de Manon rétorque aussi, en ce qui concerne le "trouble à l'ordre public": “Au contraire, une inscription qui mentionnerait le prénom de naissance de Manon, comme vous le proposez, révèlerait sa transidentité, exposant ainsi la plaque funéraire à des dégradations.”

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La préfecture donne pourtant raison à la famille de Manon

Face à l’intransigeance du maire, la famille de Manon a donc décidé d’interpeller la préfecture de Haute-Savoie, qui va dans leur sens. Début décembre dernier, le service citoyenneté de la préfecture a fait savoir à l’avocate de la famille qu’il a adressé un courrier au maire de la commune pour qu’il accède à leur demande. Contactée par Mediapart, la préfecture assure que le maire ne leur a jamais répondu. Le directeur du cabinet du maire, Emmanuel Heinis, a, depuis, réagi, persistant qu”en l’état du droit et compte tenu du règlement du cimetière, accepté par les preneurs à la concession, Monsieur le Maire ne se considère pas en capacité d’aller au-delà". "Seule la justice peut nous demander d’agir”, ajoute-t-il.

La famille de Manon ne compte pas en rester là. Elle a annoncé avoir déjà saisi la Défenseuse des droits, tandis que l’avocate de la famille a assuré qu’elle tenterait tous les recours possibles pour que les parents de Manon obtiennent gain de cause pour leur fille.

*Le prénom a été modifié.

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