"Montrer son cul quand on est grosse, c'est un acte militant"

"Montrer son cul quand on est grosse, c'est un acte militant"

Marine, 31 ans, @metauxlourds sur Instagram, est l’une des égéries françaises du mouvement body positive, qui vise à promouvoir tous les modèles physiques. Elle raconte son parcours vers l’acceptation de soi, au sein d’une société toujours grossophobe.

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« Être gros, c’est se construire en opposition à la société. Ca se lie à une oppression permanente. Dès l’instant que tu sors des standards, c’est l’enfer : une femme doit être belle et désirable. On te montre des modèle inatteignables, on te dit “aime toi comme tu es, mais autrement. »

Je me suis souvent fait tacler, pas seulement parce que je suis grosse, mais parce que je m’aime comme je suis. Si t’es pas parfaite, t’as pas le droit de dire ça. C’est comme si les gens projetaient leurs insécurités.

C’est une question compliquée, la sexualisation. T’as beau essayer de t’affranchir du regard de l’autre, parfois t’aimes plaire, être sexy. Et en même temps t’es grosse, tu fais partie de ces meufs qu’on doit railler et pas désirer. Alors je relativise, je me dis que si un mec mate mes photos et dit “je bande”, j’ai accompli quelque chose, déconstruit l’idée que les grosses sont imbaisables. Et en même temps, dès que je prends un com sexualisant sur Instagram, je bloque et je me sens mal, c’est un side-effect dérangeant, c’est pas dans ce but là que je le fais.

Ma vie a changé quand j’ai commencé à tenir mon blog beauté, il y a 6 ans. Au début, je ne montre que mon visage. Un jour, je saute le pas, je fais un article qui s’appelle « Je suis grosse », où je me montre entièrement. Certes, habillée, avec des angles flatteurs et des talons pour allonger mes jambes, mais quand même, c’est un premier pas.

Ensuite, je suis contactée par une boutique de lingerie conçue pour des meufs avec des corps différents pour que je pose pour leur lookbook. Bon, sur ces photos, les bourrelets sont effacés, t’es photoshoppée… T’es la « grosse bonne ».

A l’époque, je ne m’identifiais pas encore comme body positive, je ne connaissais même pas le mot. Mais j’estimais déjà que montrer son cul est un acte militant ! Ca permet de proposer d’autres modèles, d’autres cases. Je franchis un nouveau pas quand je rencontre la réalisatrice de pornos lesbiens Sarah de Vicomte. Elle me propose un shooting. On discute, je me mets à poil, je me mets à poser. Toujours le même type de pose : seins sortis, tu rentres le ventre, tu “mets en valeur tes formes”. Quand t’es grosse, tu dois surperformer sur la féminité. Elle m’arrête, me dit “tu fais quoi, là ?” Elle me shoote au naturel, avec mon bide, mes bourrelets… Et le résultat est magnifique ! Aujourd’hui sur mes photos, on voit ma cellulite, mes cernes, mes vergetures.

Le chemin parcouru est ouf depuis mes 13 ans. Pendant des années, j’étais super mal dans mon corps, j’avais un rapport compliqué à la nourriture, une culpabilité permanente. Gamine j’étais toute mince pourtant, je faisais un 38, mais on me faisait me sentir grosse. Alors j’ai grossi dans l’espace de mes complexes.

Des moments traumatisants, il y en a eu. A 21 ans, j’organise une soirée géniale pour mon mec, mais je me trouve trop moche, je n’arrive pas à sortir de la chambre… Je me trouve dégueulasse. Pendant des années, je couchais avec n’importe quel mec pour me sentir désirée, dans ma tête, ils me faisaient une faveur. J’étais constamment dans une compétition avec les autres meufs. Je suis tombée dans l’autodestruction, je me suis mise en danger, parce que je me disais que je ne valais rien.

Mon look, mes cheveux verts, mes tatouages, tout ça est venu quand j’ai enfin appris à valider mes choix au lieu de me construire en fonction de ce qu’on attendait de moi. Les tatouages, c’est un peu les cicatrices que tu choisis. A l’inverse, j’ai appris que tu ne maigris jamais pour toi, c’est une connerie. Tu maigris pour les autres, pour le regard social, pour qu’on te foute la paix. Le fait d’être hors standards m’a donné la possibilité de faire un travail sur moi, aller regarder tout au fond et dire “j’aime ce que je suis”. Même s’il y a des jours où je me regarde dans le miroir et j’ai envie de chialer ma race.

Je n’ai rien contre le fait d’être qualifiée de grosse ; c’est ce que je suis. Ca me dérange dans la bouche des gens pour qui c’est une insulte. Dernièrement, un connard misogyne m’a traitée de sale grosse dans mon dos. Ca ne m’a pas traumatisée comme ça aurait pu le faire il y a quelques années. Mais il y a toujours cette cassure. Dès qu’on appuie dessus, ça te colle au bord de la rupture. T’as beau être déconstruite, t’entourer de gens hyper bienveillants, quand la vie te heurte de plein fouet, cette petite voix revient pour te dire “t’es dégueulasse, t’as pas le droit d’exister.”

La dynamique de groupe aide à avancer. La plupart de mes potes sont hors-standards : des afroféministes, des queers, des neuro-atypiques, des meufs aux cheveux verts… Il y a une culture du compliment dans la tribu body-positive. On valorise l’autre. On est tellement bien ! Il y a beaucoup moins de jugement qu’ailleurs.

Le body positive m’a aussi appris la libération et la plénitude sexuelles. Avant, j’étais dans une sexualité de représentation, comme beaucoup de femmes. Si tu désacralises tes défauts, tu respectes tes envies, tes désirs, tu apprends à te connaître. »

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