"Pour faire face à la vie qui parfois est une chienne, l’homme a décidé d’épouser son chien"

"Pour faire face à la vie qui parfois est une chienne, l’homme a décidé d’épouser son chien"

L’une des tendances fameuses de cette époque fumeuse est sans aucun doute le footing. Persuadé de risquer la vieillesse anticipée ou la mort prématurée en cas d’absence de course à pied durant deux jours d’affilée, « Homo Courus » a investi beaucoup d’argent afin de remplir son placard et sa garde-robe de matériel sportif : les baskets, évidemment (qui sont de toute façon portées en permanence désormais) mais aussi le petit jogging, la montre (pour mesurer son temps et ses « records » personnels), le brassard à scratch pour faire tenir son téléphone portable et l’indispensable gourde en inox. Les magasins de sport comme Décathlon ou Go Sport ne se sont d’ailleurs pas trompés en plaçant ces objets à l’entrée afin de vous faire gagner du temps.

La place considérable du chien

Il est cependant surprenant que les laisses de chien ne fassent pas (encore) partie de la panoplie proposée aux coureurs par les enseignes sportives, tant les individus à cuissard courent régulièrement derrière les animaux à quatre pattes dans les rues et dans les parcs. Quand on les observe attentivement, on peut néanmoins se demander qui fait courir qui : est-ce l’homme qui fait courir le chien, ou le chien qui fait courir l’homme ?

On peut réellement se poser la question, tant l’homme moderne semble être entré dans une relation fusionnelle, amicale voire passionnelle avec le cabot, laissant à penser que le rapport de force s’est considérablement modifié entre les deux espèces.

« Le chien semble en effet avoir pris une place considérable »

En quittant le domaine du running pour revenir à la vie normale, il est frappant de constater le nombre de personnes qui parlent à leur chien en pleine rue : « Allez, avance » ; « Non, pas ici » ; « C’est bien, tu as bien fait cacou mon Loulou » a-t-on le loisir d’entendre régulièrement sans que cela ne surprenne plus quiconque. Ces individus, qui pour la plupart ont des vies de famille somme toute très classiques et respectables parlent peut-être parfois dans une journée davantage à leur chien qu’à leur compagnon, compagne ou enfant. Dans une enquête réalisée en 2016, 96 % des personnes qui possèdent un animal de compagnie affirmaient parler régulièrement à leur toutou au sujet de la météo, de leurs petits soucis, de leur journée, et de leur vie amoureuse, 51 % déclaraient préférer passer du temps avec leur chien plutôt qu’avec leurs amis, et 37 % affirmaient saluer leur animal de compagnie en premier en rentrant chez eux.

« Ce n'est plus l’homme qui choisit ses amis, mais le chien qui le fait pour lui »

Le chien semble en effet avoir pris une place considérable. Un foyer sur deux possède un animal de compagnie, dont presque huit millions de chiens. Alors que le but de la vie pourrait être assez naturellement d’éviter autant que possible d’avoir les mains ou de se retrouver dans la merde, les propriétaires de chien n’ont plus aucun problème avec cela, munis de leur sac-ramasse-merde de poche qu’ils sortent immédiatement afin de nettoyer le cacou de Milou. Il est par ailleurs fascinant de noter à quel point le chien est le prétexte favori d’une conversation entre deux individus qui ne se seraient jamais adressés la parole si leurs chiens respectifs ne s’étaient pas sentis le derrière ou n’avaient pas aboyé comme des imbéciles : « Ah, ils ont l’air de beaucoup s’aimer » ; « Le vôtre, c’est un mâle ou une femelle ? » ; « Comment il s’appelle ? » ; « Il est angoissé en ce moment ? » font parties des questions que l’on entend communément lorsqu’on a la chance de tomber sur une intense conversation entre deux propriétaires de chien.

L'homme s'est rapproché du chien

C’est ainsi dans notre époque : ce n'est plus l’homme qui choisit ses amis, mais le chien qui le fait pour lui. Ce n’est pas l’homme qui dicte sa vie au chien, mais le chien qui dicte la journée à l’homme : les lieux où aller (les propriétaires de chien sont très attentifs à ce que les futures vacances conviennent à Milou), les gens à qui parler (ce que l’on vient de dire plus haut), l’heure à laquelle il faut se coucher ou se réveiller (définies par les heures de promenade décidées par Milou). Et l’argent dépensé pour le chien n’a cessé de couler : les Français dépensent entre 50 et 80 euros par mois en moyenne pour nourrir leurs chiens, 560 euros par an en moyenne pour les consultations chez les vétérinaires, sans compter l’argent pour Noël et les anniversaires : 40 % offrent un cadeau à leur chien lors de ces deux occasions (soit 86 euros par an dépensés en moyenne en jouets et accessoires).

Tout laisse alors à penser que l’homme s’est encore rapproché du chien ces dernières années, et qu’il n’y a aucune raison pour que cette dynamique ne se poursuive pas : 60 % des possesseurs de chiens affirment d’ailleurs partager au moins cinq traits de caractère avec leur sac à puces (gourmand, paresseux, timide, sportif…).

« L'homme votera demain peut-être pour son chien »

Si l’homme s’est rapproché du chien et lui ressemble davantage, il s’est par conséquent éloigné des autres hommes : les Français donnent désormais plus aux associations de défense des animaux qu’aux associations qui agissent pour les personnes handicapées, les personnes âgées, l’éducation dans le monde ou les droits de l’homme, d'après les Apprentis d'Auteuil.

Pour faire face à la vie qui parfois est une chienne, l’homme a décidé d’épouser son chien. A décidé de faire confiance à son chien. Et votera demain peut-être pour son chien. Dans une campagne où tout le monde aboie sans quitter sa niche pour ne pas perdre sa petite gamelle, cela ne fera pas forcément tâche (de dalmatien) me direz-vous.