Malgré les injonctions, elles n’ont pas allaité leur bébé Les mères à vif - Le sacro-sein allaitement (épisode 01)

Malgré les injonctions, elles n’ont pas allaité leur bébé Les mères à vif - Le sacro-sein allaitement (épisode 01)

L’actualité récente a accordé une grande place aux femmes qui souhaitent allaiter leur bébé sans être dérangées, voire agressées, dans l’espace public. Qu'en est-il des mamans qui font un autre choix dans une société où l'allaitement est malgré tout fortement encouragé ?

Le site du SPF Santé Publique est tout à fait clair à ce sujet : il faudrait que plus de femmes allaitent dans notre pays, et plus longtemps. Le principal argument est lié à la santé du bébé ; le lait maternel apportant tous les éléments nutritionnels et les anticorps aux bébés. Le SPF Santé Publique recense également les hôpitaux qui ont reçu le label "Ami des bébés" et qui encouragent activement l’allaitement, c’est-à-dire 27 maternités à ce jour. "Ceci implique qu'en Belgique, un bébé sur quatre (26% des naissances) naît dans un hôpital ami des bébés. A terme, l'objectif est que tous les hôpitaux obtiennent ce label", peut-on lire sur le site du SPF. S’il est absolument important que les femmes qui allaitent reçoivent toutes les informations dont elles ont besoin, est-ce que les mamans qui décident de ne pas donner le sein sont écoutées dans un tel contexte ? Qu’en est-il de la santé mentale et physique des mamans ? Les témoignages recueillis sont édifiants.

Anne, 53 ans, a accouché de sa première fille il y a 23 ans. Elle se souvient : "Encore enceinte, je cherchais une écharpe de portage et je me suis retrouvée à une réunion de la Leche League…" La Leche League est une association de soutien à l’allaitement. "Je ne connaissais pas. C’était comme une réunion tupperware, chez une femme, dans sa maison. Pendant trois quart d’heure, elles n’ont parlé que d’allaitement du coup. De ce que j’ai retenu, c’est que si je n’allaitais pas, j’allais destiner ma fille à une petite enfance pleine de maladie. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas d’alternative, si je voulais être une bonne mère, je devais allaiter." Anne accouche dans un hôpital qui est aujourd’hui "Ami des bébés". "J’avais envie d’essayer d’allaiter mais de toute façon on ne m’a pas demandé mon avis. Ce que je ne savais pas, c’est que tu as directement une montée de lait quand tu accouches et que si tu ne veux pas allaiter, tu peux prendre un médicament pour l’arrêter [voir encadré plus bas, ndlr]."

"Mais c’est quoi ce traquenard ?"

Le personnel soignant lui explique comment allaiter. "Et là, la douleur. Ça fait hyper mal en fait les premières tétées ! Mes seins étaient très durs et gonflés. Les infirmières se moquaient de moi, elles me disaient : ‘Ah oui madame, c’est comme ça devenir maman’. Je me suis battue, je n’ai pas arrêté. Après deux semaines, j’avais les seins en sang et des crevasses. Ma mère habite en France, je n’avais personne près de moi, pas une sœur, ni une tante, ni une grand-mère. Déjà que je n’étais pas très vaillante après l’accouchement, je me suis dit : ‘Mais c’est quoi ce traquenard ?’"


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Anne allaite sa fille durant trois mois. "Je cochais les jours, comme si j’étais une prisonnière en prison. J’ai trouvé ça aliénant, mon corps ne m’appartenait plus, car c’est quand l’enfant pleure qu’il faut le nourrir au sein, pas à heure fixe comme avec le biberon. Aucune femme n’allaitait dans l’espace public donc dès que je sortais, il fallait que je coure à la maison dès que mon bébé pleurait."Anne étant indépendante, elle est retournée au travail avant la fin des trois mois d’allaitement. "J’ai acheté un tire-lait. Ça se plaque sur tes seins et tu as l’impression d’être une vache à lait. C’est violent de dire ça mais c’est ce que je ressentais. J’étais aussi super angoissée car je ne savais pas la quantité que mon bébé mangeait quand elle prenait le sein. On ne peut pas vérifier comme avec un biberon.

Le poids du bébé, c’est précisément là-dessus que Sarah, 49 ans, a été culpabilisée alors qu’elle allaitait. "Mon fils ne voulait pas prendre le sein qui était blessé avec des crevasses donc je souffrais. Ma gynécologue m’a traitée de mère incompétente. Pour mon second enfant, j’ai arrêté de me prendre la tête et je me suis lancée dans l’allaitement mixte très tôt. Ça m’a libérée. On me répétait tout le temps : ‘Allaite, ça protège tes enfants.’ Mais tous les deux ont été malades petits !"


Malgré les injonctions, elles n’ont pas allaité leur bébé Les mères à vif - Le sacro-sein allaitement (épisode 01)

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Pas de généralité

Anne a elle aussi décidé de faire les choses différemment à l’arrivée de sa deuxième fille, il y a 17 ans. "J’étais déjà plus formée dans mon féminisme et on commençait à parler des violences obstétricales. J’ai donc pu imposer que je voulais accoucher sur le côté et pas les pieds dans l’étrier. J’ai demandé à recevoir le fameux médicament qui bloque la montée de lait. La gynécologue du service a exigé que je me justifie. J’ai expliqué que c’était ma décision. J’ai fini par devoir hurler pour le recevoir et, avec l’aide de mon médecin, cela a fini par fonctionner." Et cela change tout pour la maman. "J’ai récupéré plus vite physiquement. Mon compagnon a pu s’investir dans le nourrissage de notre bébé. Bizarrement, la nuit je n’entendais pas les pleurs du bébé, c’est le papa qui se levait." Anne s’arrête pour rigoler. "Je n’ai jamais regretté mon choix. Ma deuxième fille a finalement été bien plus résistante aux maladies, il n’y a donc pas de généralité à ce sujet. Par contre, ce que j’ai trouvé fascinant, c’est que la montée de lait arrive avant même que ton bébé ne pleure. Ton corps sait qu’elle va avoir faim."

"Il faut dire aux futures mères les réalités de l’accouchement et de l’allaitement. Oui, allaiter peut faire mal. Oui, on défèque quand on accouche parce qu’on pousse. Il y a des femmes qui arrêtent de pousser à cause de ça, parce que personne ne les a prévenues. Personne dans la salle d’accouchement ne les rassure en leur disant que c’est normal et que c’est le cas de toutes les femmes. Il faut arrêter de mentir, ce n’est pas le meilleur des mondes", tient à souligner Anne.

Des injonctions toujours très actuelles

Et il semble bien que les injonctions n’aient pas vraiment évolué depuis les accouchements d’Anne et Sarah.Charlotte, 35 ans, a accouché il y a 6 mois. Elle observe : "Je ne me projetais pas dans l’allaitement. D’autant plus que je n’ai pas été allaitée et que j’ai de très bonnes défenses immunitaires, je ne suis jamais malade. Dans mon entourage, j’ai des femmes très heureuses d’avoir allaité et qui l’ont fait longtemps. Mais j’ai aussi ma sœur qui a vécu une période compliquée de post-partum après son accouchement et l’allaitement ne l’a pas aidée. Elle aurait pu déléguer, retirer cette charge de ses épaules si elle n’avait pas allaité."


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"Je suis féministe et je trouve que l’allaitement est l’un des arguments qui sert à créer cette image de mère nourricière, cette connexion magique et innée entre le bébé et la maman. C’est un discours sexiste que je ne cautionne pas, car cela présente comme normal que les pères soient déconnectés de leurs enfants, puisqu’ils ne les nourrissent pas. C’est un schéma de société dont je ne veux pas. J’en ai parlé avec des femmes des générations avant moi, dont ma maman, et elles constatent qu’il y a un retour en force de l’allaitement comme LA solution, qu’il y a une forte pression du personnel soignant", explique-t-elle. Elle participe à un programme de préparation à l’accouchement. Dès la première séance, l’allaitement est mis sur le tapis. "Ça prend beaucoup de place, c’était même là avant d’autres questions que je pouvais avoir. Au début, je voulais bien faire la première tétée pour que mon bébé ait le colostrum mais ensuite, je voulais passer au biberon pour que mon mari nourrisse sa fille. Et clairement j’ai senti une grande pression pour me faire changer d’avis. A la fin de chaque réunion du programme de préparation, la sage-femme venait me demander si j’avais changé d’avis !"

La culpabilité des mamans

Après l’accouchement, elle ressent de la culpabilité face à sa décision de ne pas allaiter - un mot qui revient souvent chez les mamans interrogées - mais aussi une grande colère. "On n’explique pas aux femmes qui ne vont pas allaiter comment le faire ! On ne m’a pas préparée à la montée de lait qui est moment violent physiquement et douloureux. On ne m’a rien dit de l’engrenage qui s’enclenche car le bébé sent le lait qui monte. Plus je cajolais ma fille, plus elle hurlait et plus mon corps produisait du lait puisque mon bébé avait faim… j’ai fini par dormir sur le canapé, en laissant mon mari s’occuper de ma fille. Ça me met dans une rage folle car il existe des solutions et le personnel soignant est là pour éviter que les mamans souffrent normalement ! On m’a juste dit de mettre des feuilles de choux dans mon soutien-gorge…"


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"Pour moi, objectivement, il y a des avantages au lait au poudre. Déjà mon corps était complètement vidé après 9 mois de grossesse, je devais prendre des compléments alimentaires. Avec le lait en poudre, je sais le dosage, je sais ce que je donne à manger à mon bébé", continue Charlotte. "Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit de la première question que l’on me pose. D’abord on me demande comment s’est passé l’accouchement et là, d’office, tu mens (Rires). Tu ne racontes pas tout comme ça, à des gens que tu ne connais pas bien. Et ensuite directement vient la question de l’allaitement, même de la part de collègues. Jusqu’au 6 mois du bébé, tu dois tout le temps te justifier, en permanence. Je suis intarissable sur le sujet ! Mes amis m’ont offert un massage post-natal par une doula. Je lui explique que mon accouchement a été difficile physiquement et que les montées de lait sont très douloureuses. Elle est au courant de tout. A la fin du massage, elle m’a quand même dit que je pourrais rependre l’allaitement dans deux semaines si j’allais mieux. Elle ne m’a donc pas du tout écoutée. Si j’avais été toute seule, peut-être que j’aurais fini par craquer face à ces injonctions permanentes et que j’aurais allaité ma fille."

"J’ai trois enfants et dès le départ, je savais que je ne voulais pas allaiter ", souligne quant à elle Virginie, 47 ans. "Je ne juge pas du tout les mamans qui le font, c’est très courageux. Par pudeur, je ne me sentirais pas à l’aise, pour moi, la poitrine est une zone intime, sensuelle. Je suis psychologue et je voulais préserver ma relation avec mes enfants, donc je voulais être bien dans les moments de nourrissage, pour que mes bébés le ressentent. J’ai un ami médecin qui ne comprenait pas du tout mon choix, par rapport à l’immunité qui est transmise au bébé par le lait. Après l’accouchement, un pédiatre est entré dans la chambre pour me dire que je donnais un corps étranger à mon bébé, en parlant du biberon. Je voulais juste qu’on me laisse tranquille ! On m’a aussi dit que si mes enfants étaient malades, cela serait de ma faute. J’avais beau être sûre de mon choix, j’ai ressenti de la culpabilité. C’était douloureux. Mon mari m’a suivie dans cette décision, ce n’est pas le cas de toutes les femmes, et il a aussi pu prendre sa place dans les moments de nourrissage. "

Celles pour qui ce n’est pas un choix

Il y aussi des femmes qui ne peuvent pas ou n’ont pas pu allaiter. C’est le cas d’Elsa, 40 ans. "Je prenais un médicament, qui pouvait être transmis à mon fils si je l’allaitais. J’ai tout de même été engueulée par une infirmière la première nuit parce que je n’allaitais pas. Elle ne savait pas pour le médicament. Mais même si j’avais pu le faire, je ne l’aurais pas fait à l’époque je crois. Depuis, j’ai beaucoup lu et je vois les choses différemment, je me dis que si le lait est fabriqué, c’est pour une bonne raison. Je pense que c’est le choix de chacune et qu’il faut le respecter. Il vaut mieux donner le biberon avec le cœur que le sein à contrecœur. Aucune femme ne devrait se sentir forcée dans sa décision."


Comment gérer la montée de lait lorsque l’on n’allaite pas ?

Nous nous inspirons ici de la réponse de Nicolas DUTRIAUX, sage-femme libérale, disponible sur ce site.