L’écoféminisme : une imposture intellectuelle sans aucun fondement scientifique  L’écoféminisme : une imposture intellectuelle sans aucun fondement scientifique

L’écoféminisme : une imposture intellectuelle sans aucun fondement scientifique L’écoféminisme : une imposture intellectuelle sans aucun fondement scientifique

Atlantico : Sandrine Rousseau se revendique de “l’écoféminisme”. Qu’est-ce qui se cache concrètement derrière ce terme ? Quelle est son histoire ? Dans quel courant intellectuel s’inscrit ce mouvement ?

Ero Makia : L’« écoféminisme », contraction des mots « écologie » et « féminisme », est avant tout un avatar du féminisme radical (ou « anti-patriarcal », ces deux notions étant synonymes), construit sur le postulat que la « domination masculine » est une donnée anthropologique et historique indiscutable et que « la » femme comme « la » nature sont par essence des victimes des mâles. De fait, il met en œuvre la vision victimaire néo-féministe, inscrivant les actuelles crises environnementales et climatiques, de même que toute l’écologie politique, dans le champ extensible à l’infini de la guerre de sexes et de la lutte contre un « patriarcat » fantasmé.

En considérant que « l’exploitation de la nature » et la « domination masculine » sont une seule et même chose, cette construction de l’esprit offre aux féministes l’occasion rêvée d’étendre leur complainte victimaire à l’histoire et la géographie toutes entières : quels que soient les espaces et les temps considérés, la possibilité d’accuser les mâles de tous les maux est démultipliée, garantissant dès lors une guerre des sexes sans fin et autant d’occasions de réclamer des dommages et intérêts (financiers de préférence) pour tout et son contraire.

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L’écoféminisme reprend à son compte l’approche féministe dite « intersectionnelle », celle qui permet de se poser en victime de toutes les oppressions, réelles ou imaginaires – oppressions de « genre », de classe, de « race », du Nord sur le Sud, de l’homme sur la nature, etc. – afin de leur imputer, de manière tout aussi simpliste que binaire, une origine commune et un coupable universel : le mâle, si possible blanc et occidental. « Je crois en les femmes par leur indignation de genre dans la société, tout comme les personnes noires musulmanes », déclare ainsi Sandrine Rousseau dans une interview pour Backseat (juillet 2021), amalgamant comme il se doit femmes, noirs et musulmans derrière une même bannière victimaire : ce sont également les seuls qu’elle « croit » quasi religieusement.

Si l’histoire du courant écoféministe voit celui-ci naître en France dans les années 1970, il va d’abord se développer dans le monde anglo-saxon, en tant qu’outil politique de revendication sociale, anti-nucléaire, anti-militariste, etc., avant de revenir tout récemment chez nous. Il se développe partout parallèlement à la spiritualité New Age, les deux courants ayant des origines communes et beaucoup de points d’accroche.

Le terme « écoféminisme » se rencontrerait pour la première fois en 1974 dans l’ouvrage de la française Françoise d’Eaubonne, Le féminisme ou la mort, même si celle-ci n’est qu’une des théoriciennes du mouvement et qu’il n’est pas certain qu’elle soit la seule inventrice du concept. D’Eaubonne y développe cette idée simpliste et abusive que « les femmes », comme « la nature », prises comme des entités essentielles, seraient pareillement « victimes de la domination masculine » et que cette exploitation commune proviendrait du « système Mâle », comme elle l’appelle. Le mal par essence est donc bien le « Mâle » avec une majuscule ; histoire de ne pas nommer directement le « Malin ». Car derrière la terminologie d’Eaubonne, parlant de la « possibilité [qu’ont les hommes] d'ensemencer la terre comme les femmes » – une référence implicite au sperme –, on perçoit comme toujours l’éternelle fixation néo-féministe sur le phallus masculin, objet de fascination autant que d’effroi.

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Cette vision simplificatrice, sexiste et misandre de la domination masculine universelle est toujours acceptée sans discussion et sur cette base, l’écoféminisme appelle à une « révolution » écologique et féministe, seule manière possible selon lui de remédier à l’emprise systémique du masculin. La contestation portait initialement sur la surproduction agricole (l’agriculture intensive) et la « sur-reproduction de l’espèce humaine » (la surpopulation), ce qui n’est pas aujourd’hui sans soulever quelques contradictions. Tout à leur positionnement intersectionnel et leur défense aveugle de l’opprimé non-blanc contre la civilisation occidentale, la chute de la fécondité en Occident et son explosion parallèle dans les Suds, menant à un déséquilibre démographique prévisible, ne semblent guère les émouvoir.

Une autre théoricienne de l’écoféminisme est Carolyn Merchant, dont le livre paru en 1980, LaMort de la nature, récemment traduit en français, a eu une grande influence dans la deuxième moitié du XXe siècle aux États-Unis. Merchant y « analyse d’un point vue féministe les liens entre nature, rationalité et progrès », expliquant que « l'asservissement de la nature à des fins productivistes a accompagné celui des femmes, et vice versa », le tout en revisitant l’histoire de l’époque moderne à l’aune du féminisme victimaire et en critiquant les « pères » de la science moderne tels Descartes, Bacon ou Newton – car promouvant la rationalité et la technologie, matières par trop masculines et qui agressent les femmes, assimilées à la « Terre-Mère » – leur corps pénétré par le mâle étant tout un (toujours la même fixation phallique quasi névrotique). Dans la foulée, Merchant explique de manière fantaisiste le phénomène des « bûchers de sorcières », selon une mythologie féministe très éloignée de la réalité historique, mais qui constitue le mythe fondateur des écoféministes. À côté des femmes, ce sont aussi « les noirs et les ouvriers » qui sont considérés comme des « moyens de production ». Les logiques sont toujours les mêmes et le positionnement victimaire anti-rationnel et anti-scientifique récurrent.

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C’est ce que l’on retrouve également sous la plume de Anne-Line Gandon qui rappelle que pour les écoféministes, « la science ayant toujours été exercée par les hommes, elle est essentiellement sexiste ; de plus, n’étant reconnu comme scientifique que ce qui répond aux canons de la vérité occidentale, elle peut se faire l’ambassadrice d’une forme contemporaine de colonialisme ». La science est donc sexiste et colonialiste, on est heureux de l’apprendre. « La science et la technique sont des outils de domination en soi, elles sont les héritières de la philosophie mécaniste des Lumières, qui fait des hommes les « maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, 1637) », continue-t-elle dans la même veine paranoïaque anti-masculine.

C’est surtout grâce à la conjonction du mouvement #Metoo, des marches pour le climat de 2019 (voir « Réchauffement climatique : la faute des mâles ? »,) et de la propagande écoféministe de Greta Thunberg que le mouvement s’implante véritablement en France – et que Sandrine Rousseau s’y convertit opportunément, essayant au passage d’en faire le cœur de la matrice idéologique de l’extrême gauche écologiste. Le 29 novembre 2019, Greta Thunberg annonçait en personne le futur programme de Sandrine Rousseau : « Le système d'oppression patriarcal, colonialiste et raciste a créé et alimenté la crise climatique. Nous devons le démanteler ». Tout y figurait, du gauchisme au racialisme, en passant par le victimisme et la lutte contre l’Occident.

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Pour ce qui est du courant intellectuel auquel il se rattache, l’écoféminisme s’inscrit, comme tous les développements du féminisme radical et anti-patriarcal, dans les suites du marxisme révolutionnaire et anti-capitaliste ; un positionnement naturellement très à gauche, renforcé ici par l’habituelle réécriture de l’histoire et de l’anthropologie propre au féminisme victimaire, lequel s’attache autant que possible à faire remonter son oppression universelle au Paléolithique (il lui est difficile de remonter plus haut). Selon d’Eaubonne (1974), l’écoféminisme ne vise pas moins que « la disparition du salariat, des hiérarchies compétitives et de la famille. Il faut donc refonder la société sur des bases neuves, et cela commence par le renversement des systèmes productifs et reproductifs gérés par les « Mâles » (Anne-Line Gandon). Tout un programme, on vous dit.

Sandrine Rousseau s’inscrit pleinement dans cette idéologie quand, le 2 février dernier, dans les colonnes du Figaro, elle déroule son crédo : « L’écologie et le féminisme ont le même ADN. Il faut déconstruire le rapport de domination de l’humain sur la nature, comme celui de l’homme sur la femme, incarné par le patriarcat ». On lève d’autant les yeux au ciel qu’elle est l’incarnation même de la bourgeoise blanche citadine favorisée et carriériste (certains disent même arriviste), cumulant les prébendes et les postes honorifiques. La complainte des maîtres de conférences vice-présidentes d’université « opprimées par le blantriarcat » me font toujours beaucoup sourire. Quant à ses mantras sur la « déconstruction » du mâle (« Je vis avec un homme déconstruit et j’en suis hyper heureuse », LCI, 22/09/21), ils ne sont que l’expression à peine dissimulée de son autoritarisme et de sa tentation suprématiste.

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« Remplie de colère », « pétrie de radicalité » et d’émotions impérieuses, Sandrine Rousseau incarne la posture écoféministe par excellence : « Tout notre système économique, social et sociétal est fondé sur le triptyque : nous prenons, nous utilisons et nous jetons. Le corps des femmes, le corps des racisés. Nous ne voulons plus ça et c'est ça la révolution que je vous propose ! Pour cela il faudra du courage politique. Et du courage, j'en ai. De la colère, j'en suis remplie. De la radicalité, j'en suis pétrie ! » (Poitiers, le 20/08/2021).

On ne peut pas ne pas rappeler à la suite de cela son fameux manifeste misandre anti-rationnel – elle qui « préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR (des réacteurs nucléaires » –, tant il illustre à la perfection son courant idéologique. L’écoféminisme a été à juste titre dénoncé comme une idéologie binaire et réductrice, essentialisant les femmes à grands coups de « féminin sacré », de Terre-Mère, d’« énergies », de pensée magique, de mantras, visions, sensations et autres règnes de l’émotion et de l’intuition – sans oublier l’irrationnalité et le narcissisme exacerbé qui les accompagnent ordinairement ; toutes choses qui s’opposent frontalement aux revendications du féminisme universaliste dont les luttes portaient – jusqu’à l’excès, avec l’idéologie du genre – sur le rejet de toute différence des sexes.

Bertrand Vergely : Comme son nom l’indique l’écoféminisme est le résultat de la rencontre entre l’écologie et le féminisme. Afin de comprendre ce phénomène idéologique qui est en train de prendre de l’ampleur il importe de distinguer trois écoféminismes.

Le premier écoféminisme renvoie à la plus haute spiritualité qui soit. L’écologie est, comme son nom l’indique, la science de la maison, oïkos voulant dire en grec la maison. La maison est ce qui se passe quand l’existence est habitée par l’être, l’être étant la réalité fondamentale qui a été, qui est et qui sera. La femme incarne à travers le féminin la réceptivité fondamentale. Être dans un écoféminisme veut donc dire être dans la réceptivité fondamentale de l’être.

Philosophiquement, c’est le taoïsme qui incarne l’écoféminisme créateur. Toute chose procédant de l’être, toute chose est habitée par un principe harmonieux. Ce principe harmonieux se retrouve dans la relation harmonieuse qu’il peut y avoir entre ces polarités dynamiquement opposées que sont le masculin et le féminin. Être ainsi écoféministe consiste à être habité par l’harmonie en désirant que tout puisse connaître cette harmonie.

L’éco-féminisme procède par ailleurs d’un certain nombre de combats politiques menés pour protéger l’environnement face aux ravages provoqués par la violence économique et pour protéger les femmes qui subissent toutes sortes de violences. On n’a pas toujours parlé de la violence que subit la nature ou que subissent les femmes. L’écoféminisme est né de la libération de la parole à propos de ces violences. Le féminisme et l’écologie existant depuis quelques décennies, il était inévitable qu’à un moment ou un autre ceux-ci se rassemblentau sein de ce qu’il est convenu d’appeler une convergence des luttes.

Enfin, il y a dans l’écoféminisme un certain désarroi idéologique. Suite à l’effondrement du communisme, la gauche qui était marxiste ne l’a plus été. Alors qu’auparavant, elle croyait au rôle moteur de la classe ouvrière afin de changer l’histoire, elle n’y croit plus. Comme elle n’y croit plus et qu’il faut bien remplacer la classe ouvrière, elle s’appuie sur les forces sociales et politiques du moment représentées par les Verts et le féminisme. Il s’agit là d’une transformation idéologique majeure. Lorsque la classe ouvrière incarnait l’avenir de l’humanité, il y avait une force sociale organisée en l’occurrence la classe ouvrière organisée en classe. Avec l’écoféminisme, ce n’est plus une classe qui organise l’avenir mais un mouvement aux contours mal définis, l’écologie comprenant plusieurs écologies et le féminisme plusieurs féminismes. Cette confusion liée au passage de la classe au mouvement se retrouve dans la contradiction de fond qui traverse ce mouvement. D’un côté l’écoféminisme entend défendre la nature ainsi que les femmes, d’un autre il y a en lui tout un courant dénonçant le mythe de la nature et de la femme. Résultat : ce mouvement ne sait pas très bien où il en est, la défense de la nature et de la femme ayant du mal à s’accorder avec ce qui entend dénoncer les illusions idéologiques charriées par ces notions.

Selon l'écrivaine française Françoise d'Eaubonne porteuse de la thèse, l'écoféminisme repose sur l'idée que l'exploitation de la nature et des femmes participent d'une même logique. Lier ces deux notions a-t-il un réel sens historique ?

Ero Makia : En tant que postulat féministe radical et anti-patriarcal, l’écoféminisme repose davantage sur l’habituelle idéologie victimaire militante que sur des bases étayées scientifiquement. Françoise d’Eaubonne confondait ainsi allègrement la femme avec la nature, comme si les deux notions se superposaient en tous points – ouvrant en cela la voie aux critiques sur « l’essentialisation » des femmes : « Le rapport de l’homme à la nature est plus que jamais, celui de l’homme à la femme » écrivait-elle en 1978. Comme le glose Anne-Line Gandon (article cité), « La destruction de la nature n’est donc pas imputable à l’ensemble de l’humanité, mais aux hommes, qui ont construit une civilisation sexiste et scientiste et, plus largement, une société de domination » – autant d’affirmations gratuites et misandres. Comme elle l’écrit de manière tout aussi manichéenne, d’Eaubonne opposait arbitrairement « des valeurs de destruction masculines et des valeurs de vie féminines » : « Oui l’addition va être lourde, dans un monde sexiste où l’homme s’était réduit et identifié au Masculin destructeur pour laisser à la femme le Féminin conservateur, il avait cru investir dans la création des techniques ses forces d’agressivité et de destruction […] » (D’Eaubonne, 1972 : 353-354). Le monde est si simple à comprendre quand on est féministe : « la femme » conserve et « l’homme » détruit…

Françoise d’Eaubonne reprend également à son compte l’autre mythologie féministe sur les sociétés primitives « matriarcales » et les « sociétés d’amazones » gynocratiques prétendument égalitaires et exemptes de tout « patriarcat » ; un âge d’or fantasmé au cours duquel les femmes auraient eu, « aux premiers temps de la sédentarisation », la maîtrise de leur corps et de leur fertilité ; élucubrations jamais étayées et même balayées depuis longtemps. Tout comme lorsqu’elle dénonce, en 1999 dans un ouvrage éponyme, « le sexocide des sorcières perpétré par l’Inquisition » – une affabulation qui remonte à Jules Michelet (La Sorcière, 1862) et que Mona Chollet nous ressert toujours en 2018 (Sorcières, La puissance invaincue des femmes). Elle parle également, entre hommes et femmes, d’une « guerre de civilisation », encore un fantasme qui n’est que le ferment de haine et de division que l’écoféminisme s’emploie à installer entre les sexes.

Bertrand Vergely : Au 19ème siècle Engels a écrit un ouvrage intitulé L’origine de la famille, de la propriété et de l’État afin de montrer que le capitalisme qui opprime les peuples par la propriété et l’État l’opprime par la famille. Il a ainsi rêvé d’un monde où il n’y aurait plus rien qu’une grande fraternité délivrée de l’État, de la propriété et de la famille.

L’écoféminisme est idéologiquement une émanation du marxisme et de Engels. Concrètement, il se heurte à des difficultés majeures. Historiquement d’abord, en supprimant la famille le communisme n’a pas libéré les hommes et les femmes. Il a fait de ceux-ci les choses de l’État en les exploitant de façon éhontée.

Par ailleurs, une chose est de penser que l’exploitation vient du capitalisme et une autre du sexe masculin.Lorsque l’on fait du capitalisme la source de l’exploitation, on se situe dans l’histoire pas dans la nature. Quand on fait du masculin la source de l’exploitation, on se situe dans la nature et non dans l’histoire. On peut penser libérer l’humanité de l’exploitation en en finissant avec le capitalisme. En rêvant, la chose est possible. C’est ce qu’a fait le communisme. C’est ce que continue de faire le rêve communiste. Avec le masculin comme source de l’exploitation, il en va autrement.

Si l’écoféminisme entend abolir l’exploitation, il va devoir en finir avec le masculin. Pour en finir avec lui, seule une dictature féroce y parviendra. On ne sera plus alors dans le rêve mais dans le cauchemar. Avec la théorie du genre, un pas a été effectué dans cette direction. Pas pour le moins problématique. Lorsque la théorie du genre supprime la notion de masculin, elle est obligée de supprimer celle du féminin. Alors que l’on entend défendre la femme et les femmes, c’est quelque peu gênant.

Cette relation entre écologie et féminisme s’appuie-t-elle sur des fondements scientifiques et des données universitaires ?

Ero Makia : Si l’écoféminisme est un phénomène typiquement intellectuel et universitaire dans ses origines, cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit scientifique ou étayé par les faits. Comme toute forme de féminisme radical et anti-patriarcal – les fameuses « gender studies », « queer studies », « postcolonial studies » et autres « grievance studies » (« études geignardes ») dont les universités regorgent –, il ne repose en général que sur du discours, des raisonnements circulaires et une réécriture militante d’un passé fantasmé.

L’écoféminisme opère actuellement une entrée en force dans tous les secteurs de l’université française, des sciences humaines jusqu’à la biologie, sans que personne ne questionne jamais ses fondements épistémologiques – alors même que son positionnement idéologique et militant saute aux yeux. Ce sont essentiellement des femmes universitaires qui s’en font les hérauts, confondant tranquillement recherche et militantisme, comme en témoigne par exemple ce sujet de thèse en préparation, relevé dans le récent rapport de l’Observatoire du décolonialisme: « Un écoféminisme autochtone : représentations, discours et cosmologies animalistes décoloniales » et dont voici le résumé : « Cette thèse aura pour but d’explorer les liens entre deux groupes multiminorisés, les femmes autochtones vivant au Canada et les animaux avec qui elles vivent. (…) Cette thèse se développera dans un cadre de pensée écoféministe, c’est à dire qu’elle mettra en valeur l’assujettissement du vivant en général au nom d’une même domination, celle du patriarcat capitaliste et colonial » Domination, patriarcat, capitalisme, colonialisme, tous les mots-valises à la mode sont enfilés comme des perles…

Bertrand Vergely : En théorie, l’écoféminisme repose sur la sociologie marxiste faisant du capitalisme la cause de l’exploitation économique de l’humanité et de la violence exercée à l’encontre des femmes. Dans la pratique, il s’agit là d’une sociologie impossible.

Si le capitalisme est censé être capitaliste parce qu’il est sexiste, la thèse marxiste de la cause économique de l’exploitation s’écroule. Si le sexisme est sexiste parce qu’il est capitaliste, la thèse féministe du sexisme comme cause de l’exploitation s’écroule également. L’idéal serait qu’une théorie générale de l’exploitation existe en faisant cohabiter la cause économique de l’exploitation avec la cause sexiste. Une telle théorie est impossible. D’où l’absence de reconnaissance scientifique et universitaire de l’écoféminisme, les scientifiques et les universitaires préférant faire de la sociologie économique pour comprendre l’origine de l’exploitation et laisser au féminisme le soin d’être un mouvement protestataire au nom de la défense du droit des femmes.

Comment une telle thèse qui est souvent cantonnée au monde universitaire arrive-t-elle dans la bouche des politiques ?

Ero Makia : Quand Sandrine Rousseau, reprenant les idées d’Eaubonne déclare que : « On est aujourd'hui dans une forme de prédation : on prend, on utilise, on jette. On prend, on utilise le corps des femmes, quand on les viole et quand on les agresse. On prend, on utilise, on jette la nature, quand on exploite des ressources et quand on salit les océans à coups de plastique », elle déroule une rhétorique féminisme bien rodée, articulée sur la prétendue « culture du viol ».

Car pour la néo-féministe, tout est viol et tout doit être rapporté au viol, toujours, partout, tout le temps. Le mâle étant un violeur par essence, il viole la femme, la nature, le monde, absolument tout ; c’est une loi quasi naturelle. Comme le philosophe Warren Shibles le résumait en 2002 dans son livre Humor Reference Guide: A Comprehensive Classification and Analysis, « tout voir en termes devictimisation, d’esclavage, d’oppression,de harcèlement sexuel et de viol » est ce qui constitue le cœur de la matrice néo-féministe. Et Sandrine Rousseau est de ces féministes qui fondent l’intégralité de leur carrière politique – quand elles ne tirent pas des traites à vie – sur le concept de « viol », réel ou imaginaire, parfois jusqu’au délire pseudo-paranoïaque : « Tout, dans notre système économique, social et environnemental, est fondé sur la prédation », déclare-t-elle sans ambages, comme si c’était aussi simple. La « culture du viol » est une source inépuisable d’éléments de langage politique auquel il suffit ensuite de donner une vague tournure programmatique, et pas seulement chez les écoféministes.

Bertrand Vergely : Le politique qui a besoin de se faire élire est habile. Afin d’être en phase avec la société, il va glaner ici et là des bribes de théories qu’il va replacer dans ses discours en se gardant toutefois d’apparaître comme un idéologue. Être un idéologue inquiétant la société, il va être pratique en laissant aux universitaires le soin de théoriser. Se faisant le défenseur de tous les droits, que ce soit les droits économiques ou bien encore les droits humains, il va ici et là combiner un peu de marxisme avec un peu de féminisme et un peu de féminisme avec un peu de marxisme. Aujourd’hui, on en voit les résultats.

De l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le centre et les partis traditionnels de gauche et de droite, tout le monde est écologiste et tout le monde est féministe. Tout le monde va se servir dans l’écoféminisme afin de faire sa propre cuisine électorale en se gardant bien d’être écoféministe. De sorte que l’écoféminisme se retrouve face au paradoxe consistant à perdre parce qu’il gagne.

Plus ses thèmes se répandent dans la société, plus il gagne. Plus il gagne, plus il perd, personne à part une minorité militante ne désirant que l’écoféminisme triomphe, Tout le monde voulant être à la mode et tout le monde soupçonnant que l’écoféminisme sera une dictature s’il se réalise, tout le monde est écoféministe sans l’être.

Comme toute thèse radicale, l'écoféminisme veut trouver un idéal. Est-il réellement applicable dans le monde tel que l'on connaît ? Voyons-nous par ce biais les limites du discours de Sandrine Rousseau ?

Ero Makia : L’écoféminisme est en soi une utopie et il s’est longtemps revendiqué et accepté comme tel – même si toutes ses chapelles ne sont pas aussi radicales et agressives que ces récentes manifestations médiatiques. Les observateurs sont cependant nombreux à relever que la radicalité affichée par Sandrine Rousseau peut difficilement s’inscrire dans une logique d'État et que de ce fait, elle se ferme automatiquement des portes.

Et comment, ajouterions-nous, un idéal politique pourrait-il se fonder durablement sur une haine revancharde et suprématiste envers un pan entier de l’humanité ? L’écoféminisme, qui sépare l’humanité entre le groupe des prédateurs (l’homme blanc) et celui de ses victimes (le reste de l’univers) n’a rien de l’idéal émancipateur et égalitaire qu’il revendique. Le bonheur égalitaire des sexes ne peut se bâtir sur une mise en accusation permanente, caricaturale et simpliste du sexe masculin. L’écologie politique elle-même ne peut prétendre prospérer très longtemps sur un féminisme haineux et méprisant envers la civilisation qui l’a vu naître. S’il remporte actuellement quelques batailles ponctuelles ou opportunes, le retour de bâton ne pourra être que cuisant, car au jeu de la mauvaise guerre des sexes, les femmes ne sont pas toujours gagnantes, loin s’en faut.

L’un des principaux reproches faits à l’écoféminisme est d’assimiler les femmes à la nature, un moyen efficace pour lui d’accabler les hommes de manière exponentielle, mais qui prête le flanc à des réductions essentialistes vues comme autant de régressions idéologiques. Cette critique vient des féministes elles-mêmes, qui craignent d’être renvoyées à leur foyer ou à la fonction maternelle lorsqu’elles entendent les écoféministes demander à ce que le travail « invisibilisé » des femmes à la maison soit revalorisé – et l’on touche ici à l’une des contradictions majeures du féminisme en général. Les écoféministes militent pour revaloriser le travail domestique féminin, quand les universalistes, dans la lignée de Simone de Beauvoir, considèrent que tout rôle féminin genré, particulièrement le soin des enfants, est un asservissement et une aliénation incompatibles avec une émancipation qui ne passerait que par l’imitation servile des hommes. Les deux chapelles féministes communient cependant dans la détestation de tout ce qui est imputable au « patriarcat » – au lieu de célébrer les progrès technologiques qu’elles lui doivent, à commencer par les machines à laver le linge ou la vaisselle.

Les contradictions écoféministes sont nombreuses, quand elles exigent d’un côté la contraception tout en la dénonçant de l’autre (à propos des essais cliniques sur les femmes). Elles célèbrent l’avortement d’un côté, mais dénoncent l’élimination des fœtus de sexe féminin de l’autre. Et naturellement, la question de l’infanticide, quand l’auteur est une femme, reste un angle mort (70% des infanticides sont le fait des femmes). Comment la douce Gaïa, si attachée à la « conservation », peut-elle donc aussi naturellement trucider ses enfants ?

Dans les programmes politiques, l’écoféminisme semble pour l’instant se résumer davantage à du bavardage et de la propagande électoraliste qu’à des mesures concrètes – de toutes façons, comment mettre en place des mesures discriminatoires et sexistes à l’encontre des hommes sans susciter une levée justifiée de boucliers ? La tentation misandre est pourtant un leit-motiv chez les écoféministes, illustrée crûment en France par la collaboration de Sandrine Rousseau avec Alice Coffin : « Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer », écrivait celle-ci à propos des hommes dans Le génie lesbien (2020). Alerte rouge, donc.

Le discours écoféministe de la rue, mêlant la puérilité à la stupidité (« Enculez-moi plutôt que le climat », scandaient en 2019 des post-adolescentes en débine) se voit difficilement mettre en œuvre ; et ce ne sont pas ces slogans idiots qui risquent de changer quoi que ce soit à la marche du monde (cela ferait même plutôt rire grassement le « patriarcat », pour autant que ce dernier existe encore dans nos contrées).

Rappelons également que le changement climatique n’a rien d’un complot des hommes contre les femmes et que chaque sexe souffre à égalité du dérèglement climatique et de l’exploitation des ressources naturelles. Les féministes occidentales, du haut de leurs vociférations, oublient même souvent qu’elles sont les principales bénéficiaires de cette exploitation – par exemple les féministes universitaires qui sautent d’avion en avion, entre leurs colloques et leurs week-ends à l’étranger, et qui de fait ont une empreinte carbone bien supérieure à celle de l’homme blanc déclassé qui lui ne prend jamais l’avion, faute de moyens économiques.

Plus largement, la posture victimaire au carré ou au cube de l’écoféministe intersectionnelle reste délibérément aveugle au partage réel des pouvoirs entre hommes et femmes, partage qui existe depuis toujours : les femmes ont toujours exercé et exerceront toujours un ascendant puissant sur les hommes. Une réalité que seules les féministes continuent – ou feignent – d’ignorer afin de mieux pousser leur agenda.

Bertrand Vergely : Depuis des décennies, la caractéristique de l’extrême gauche consiste àdonner l’impression de vouloir le pouvoir alors qu’en réalité elle veut non pas le pouvoir mais l’opposition. Il en est de même de même avec l’écoféminisme. Celui-ci donne l’impression de vouloir le pouvoir alors qu’en réalité seule l’opposition l’intéresse Il y a une raison à ce paradoxe.

L’extrême gauche comme l’écoféminisme poursuivent le même but. Ils veulent avoir idéologiquement raison. C’est la pensée qui les préoccupe. Quand on est de gauche, on aime avoir raison et on souffre de ne pas être reconnu comme étant celui qui a raison. Tout donne à penser que l’écoféminisme va connaître le même parcours que l’extrême gauche. Souhaitant avoir raison, il va donner l’impression de vouloir le pouvoir, alors qu’en réalité il ne voudra qu’une chose : être dans l’opposition afin d’avoir le monopole de la protestation prophétique.