Réseaux sociaux | Vive la différence ! | La Presse

Réseaux sociaux | Vive la différence ! | La Presse

Même si leur corps ne correspond pas aux standards de beauté, elles l’affichent fièrement. Sur les réseaux sociaux, ces femmes célèbrent leur différence. Portraits.

Publié le 12 déc. 2021Véronique Larocque La Presse

Joannie Dupré-Roussel et sa fille Léa-Rose

Comme beaucoup d’enfants de 3 ans, Léa-Rose adore courir, jouer et écouter la Pat’Patrouille. Contrairement à beaucoup d’enfants de 3 ans, elle vit avec le syndrome de Treacher-Collins, maladie génétique rare qui cause des malformations craniofaciales. « C’est dur vivre avec une différence craniofaciale. C’est le visage. Ça ne se cache pas », confie sa mère, Joannie Dupré-Roussel, qui a aussi le syndrome de Treacher-Collins, mais sous une forme moins grave.

Peu après sa naissance, Léa-Rose a dû subir une trachéotomie et une gastrostomie. Ne sachant pas à quoi allait ressembler le quotidien de sa fille, Joannie a cherché de l’information. Sur Instagram, elle est tombée sur les comptes d’enfants atteints du même syndrome que Léa-Rose. Un peu plus vieux, ils accomplissaient les mêmes choses que les jeunes de leur âge. « Ces comptes m’ont fait beaucoup de bien. »

1/2

Afin de sensibiliser les gens à la différence, Joannie Dupré-Roussel a décidé elle aussi de raconter son histoire et celle de Léa-Rose sur les réseaux sociaux. Elle admet toutefois avoir trouvé difficile de publier les premières photos. Au début, son compte Instagram était d’ailleurs privé.

Ça a vraiment été un long cheminement. Je ne sais pas ce qui a fait qu’à un moment donné, j’ai décidé de mettre mon compte public. Probablement que je voulais me battre.

Joannie Dupré-Roussel

Aujourd’hui, son compte est suivi par plus de 10 000 abonnés. « J’ai vraiment de beaux commentaires. Moi, je n’ai pas de messages haineux. C’est beaucoup, beaucoup d’encouragements. » Ce qui touche particulièrement la mère de famille, c’est qu’elle constate l’effet positif de ses publications. « Il y a beaucoup de gens qui me disent être tombés sur mon compte et en avoir parlé à leur enfant. »

1/3

« À force de tomber sur des visages atypiques, on développe une tolérance », croit Joannie Dupré-Roussel. Avec Marie-Ève Piché, alias Maman caféine, elle a d’ailleurs coécrit un livre qui met en scène Léa-Rose. Celui-ci doit paraître l’hiver prochain.

Consultez le compte Instagram de Joannie Dupré-Roussel

Aiesha Robinson

Aiesha Robinson avait 18 ans quand sa vie a basculé. Elle venait d’apprendre qu’elle était atteinte de vitiligo, affection de la peau qui entraîne une dépigmentation de certaines zones. Des taches blanchâtres sont apparues sur ses mains, puis sur son visage. « Je ne pouvais pas quitter la maison sans que quelqu’un me regarde étrangement ou me dise un commentaire blessant », se souvient-elle.

Même si elle gardait le sourire devant sa famille et ses amis, la jeune Montréalaise a sombré tranquillement vers la dépression. Des idées suicidaires l’habitaient. « C’est là que j’ai pris un couteau. Je suis allée dans la salle de bains et j’ai dit : “C’est assez.” Je ne voulais plus vivre avec cette douleur au quotidien. »

« Ce qui m’a sauvée, c’est que j’ai appelé une amie qui m’a supportée cette nuit-là, confie-t-elle. Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’aide. »

Pour Aiesha Robinson, c’était le début d’un grand cheminement vers l’acceptation de soi. À la fin de ce processus, elle a eu envie de prendre la parole pour aider les gens vivant une situation similaire. C’est vers les réseaux sociaux qu’elle s’est tournée pour le faire. Comment s’est-elle sentie au moment où elle a publié sa première photo ?

1/2

J’avais l’impression qu’avant, je portais un masque et que finalement, je l’enlevais. L’amour que j’ai reçu était énorme.

Réseaux sociaux | Vive la différence ! | La Presse

Aiesha Robinson

Pour diffuser son message d’acceptation de soi, Aiesha Robinson donne des conférences et a fondé Born to Rise, organisme à but non lucratif qui lève le voile sur des sujets tabous. Elle a aussi fait du mannequinat avec de grandes marques, dont Dermablend et La Maison Simons, autre façon de célébrer la beauté de sa différence.

Consultez le compte Instagram d’Aiesha Robinson

Khate Lessard

Depuis sa participation à Occupation double Afrique du Sud en 2019, Khate Lessard est devenue l’une des personnes trans les plus connues du Québec. Toutefois, avant d’intégrer la maison des filles de la populaire téléréalité, c’est sur YouTube qu’elle parlait de sa réalité. Pourquoi a-t-elle décidé de s’exposer ainsi sur le web ? « Pour chercher des gens qui me comprendraient, qui me ressembleraient, avec qui je pourrais parler. »

Alors qu’elle entamait son processus de transition, elle est retournée vivre en Abitibi auprès de sa famille.

Je me souviens, j’étais dans ma tête, en gros questionnements. Je n’avais personne vers qui me tourner.

Khate Lessard

Ses vidéos YouTube ont été comme une bouteille à la mer.

Peu à peu, elle s’est créé une communauté sur les réseaux sociaux. La taille de celle-ci a explosé à la suite de son passage à OD. « Quand je suis revenue d’Afrique du Sud, j’ai vu la grosse mégadose d’amour. J’avais reçu des tonnes de messages. […] Des jeunes, des adultes, des personnes dans la soixantaine qui m’écrivaient de gros paragraphes. On dirait qu’ils avaient senti qu’ils pouvaient me faire confiance. »

Sans filtre, elle a même dévoilé tout le processus entourant sa vaginoplastie, subie en novembre 2019, sur les réseaux sociaux de même qu’à l’émission La semaine des 4 Julie. « Je me suis dit : “Est-ce que j’aurais aimé voir ce genre de contenu quand j’ai commencé ma transition ?” Absolument. »

Consultez la page YouTube de Khate LessardConsultez le compte Instagram de Khate Lessard

Sonia Tremblay

C’est d’abord et avant tout pour elle que Sonia Tremblay a commencé à prendre des photos de son corps et à les publier sur Instagram. « Pour me retrouver. Pour m’accepter de nouveau », précise-t-elle. Elle venait de perdre beaucoup de poids, mais le bonheur qu’elle pensait voir arriver en même temps que les nouveaux chiffres affichés sur la balance se faisait attendre.

1/3

Sur Instagram, alors à ses balbutiements, elle a découvert des influenceuses anglaises et américaines grosses et fières de l’être. Le mouvement body positive, qui prône l’inclusion des corps marginalisés dans toutes les sphères de la société, l’a interpellé. « Au Québec, quand j’ai commencé, on n’en parlait presque pas », se souvient-elle.

On ne réalise pas l’impact sur la santé mentale que la grossophobie et le poids des standards de beauté ont sur les gens.

Sonia Tremblay

Peu à peu, des gens d’ici et d’ailleurs ont commencé à la suivre sur Instagram. Son compte dépasse aujourd’hui les 23 000 abonnés.

Si les réseaux sociaux disparaissaient du jour au lendemain, comment se sentirait-elle ? « Je trouverais ça difficile. J’y interagis avec plein de gens. C’est ma vie, ma communauté. »

Consultez le compte Instagram de Sonia Tremblay

Arianne Clément

Sur la photo, Marie-Berthe apparaît coquette, en petite tenue de nuit, à mille lieues de l’image qu’on se fait d’une femme de 102 ans.

1/3

« Les personnes âgées sont vraiment des personnes complètes, multidimensionnelles. […] On ne peut pas les réduire aux images souvent liées à la santé qu’on voit dans les médias », croit Arianne Clément, la photographe derrière ce cliché.

Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’aspects de la vie des personnes âgées qui sont rarement représentés.

Arianne Clément, photographe

Depuis sa maîtrise en photojournalisme, les aînés sont son sujet de prédilection. Avec ses images, elle souhaite valoriser la place des personnes âgées dans la société. Pour y arriver, elle a exposé ses photos partout dans le monde, notamment en Italie, en Grèce, au Japon ou encore en Belgique. Au Québec aussi, bien entendu.

Mais au-delà des salles d’exposition, c’est grâce à Instagram qu’Arianne Clément fait découvrir ses œuvres. « C’est une super plateforme pour passer les messages que j’ai envie de passer et pour valoriser les modèles qui ont voulu participer à mes projets. »

Les commentaires qu’elle reçoit sont en grande majorité très positifs. « Je remarque que ce qui est le plus apprécié, ce sont les photos qui représentent des couples ou des gens qui s’embrassent. Ça reflète un besoin de voir de l’amour, de la vie, du bonheur chez les aînés. Ça fait du bien. J’ai beaucoup de gens qui m’écrivent pour me dire que grâce à mes photos, ils ont moins peur de vieillir. »

Fascinée par la vieillesse, Arianne Clément s’est d’ailleurs rendue dans les zones du globe où les gens vivent le plus longtemps et avec la meilleure qualité de vie. De cette aventure est né le livre Comment vivre 100 ans, qu’elle vient de lancer sur la plateforme de sociofinancement Ulule.

Consultez le compte Instagram d’Arianne Clément

Entre bienveillance et toxicité

Peu de commentaires négatifs, un esprit de communauté et beaucoup de soutien. Voici un bref résumé de l’expérience vécue sur les réseaux sociaux par les femmes que La Presse a rencontrées pour parler de différence. Une description qui semble très loin des critiques formulées dans la foulée des Facebook Papers. Les réseaux sociaux sont-ils bienveillants ou toxiques ? Les deux, répondent des expertes.

« Les réseaux sociaux sont à la fois un espace de normalisation de la différence et de renforcement de la norme, explique Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il y a énormément de matériel visuel qui renforce les normes stéréotypées de beauté […]. Cependant, il y a aussi énormément de contenu qui se diffuse en vagues, à travers les mots-clics ou à l’intérieur de certains groupes, qui essayent de promouvoir une diversité d’images. »

L’effet qu’auront les réseaux sociaux dépendra de la façon dont on les utilise, soutient la psychologue Stéphanie Léonard. « Les personnes qui ont tendance à suivre des comptes où l’on voit plus de mannequins au corps réaliste […] ont une plus grande satisfaction corporelle et se comparent moins », indique-t-elle. L’inverse est toutefois aussi vrai, prévient celle qui a fondé l’organisme Bien avec mon corps afin d’aider les jeunes à avoir une image saine et positive d’eux-mêmes.

Comment se sent-on lorsqu’on consulte le compte de cette influenceuse ou celui de cette vedette ? Si on a l’impression d’être inadéquat, que l’on se compare ou que l’on se sent dévalorisé, mieux vaut cesser de suivre cette personne, suggère Stéphanie Léonard. Elle insiste sur l’importance de faire une utilisation bienveillante des réseaux sociaux.

On veut que ce soit du contenu qui nous fait du bien et qui nous inspire.

Stéphanie Léonard, psychologue et fondatrice de l’organisme Bien avec mon corps

Une portée limitée

« Les réseaux sociaux, c’est un espace que l’on peut voir comme étant plus démocratique où les personnes marginalisées peuvent prendre la parole, avoir une audience, faire passer un message, alors que ce ne serait pas possible dans des formes de communication plus traditionnelles », souligne pour sa part Marina M. Doucerain, professeure de psychologie à l’UQAM. La portée du message est toutefois limitée à certains groupes.

Les médias sociaux sont beaucoup organisés en bulles. C’est lié au phénomène des chambres d’écho. Les algorithmes nous envoient des choses qu’on veut voir, qui nous ressemblent. Si on est quelqu’un qui aime ce genre de diversité, on va se retrouver dans une bulle qui montre cette diversité-là.

Marina M. Doucerain, professeure de psychologie à l’UQAM

Les images des personnes marginalisées se limitent donc aux frontières des groupes qui veulent les voir.

La normalisation des corps marginalisés sur les réseaux sociaux est une bataille menée principalement par les femmes, indique Chiara Piazzesi. Pourquoi ? Parce que, encore aujourd’hui, les femmes sont souvent réduites à leur apparence dans la société, dit-elle. « Il pourrait être temps d’axer la représentation des femmes sur autre chose que l’apparence », croit la professeure.

Lorsqu’elle rencontre des jeunes du secondaire avec son organisme Bien avec mon corps, Stéphanie Léonard remarque qu’ils sont ouverts à la diversité, autant sur les réseaux sociaux que dans la vraie vie. « L’endroit où je vois que ça accroche, c’est que les jeunes ont encore de la difficulté à appliquer ces concepts à leur propre perception d’eux-mêmes. »

En chiffres

50 % : Au Québec, la moitié des adolescents ne sont pas satisfaits de leur apparence physique.

1,3 milliard : Nombre d’utilisateurs d’Instagram dans le monde en 2021

Source : Institut de la statistique du Québec et Statista