Le prix à payer: ce que le couple hétéro coûte aux femmes, d'après Lucile Quillet

Le prix à payer: ce que le couple hétéro coûte aux femmes, d'après Lucile Quillet

Où passe l’argent des femmes, celui qu’elles ont et celui qu’elles ne toucheront jamais ? A quoi le dépensent-elles dans un couple hétérosexuel ? Dans "Le prix à payer", ce que le couple hétéro coûte aux femmes paru le 6 octobre aux Liens qui libèrent (LLL), une enquête aussi amusante que sérieuse, la journaliste et coach pour les femmes au travail Lucile Quillet, ex-Madame Figaro, décrit le parcours des femmes et de leur porte-monnaie avant la mise en couple, pendant et après, pour les prévenir et faire réfléchir.

Challenges - Pourquoi vous êtes vous intéressée à l’argent des femmes en couple hétéro ?

Lucile Quillet - Journaliste, j’écris depuis des années sur la vie des femmes, leur corps, leur couple, leur travail, les injonctions sociales… J’ai d’abord remarqué tout ce qu’elles dépensaient pour être la "bonne candidate" au couple. Je voulais montrer les inégalités, les dons invisibles, la façon dont les hommes et l’Etat se reposent sur le travail invisible des femmes, alors que les préjugés affirment qu’elles ne comprennent rien à l’argent, qu’elles sont entretenues par leur conjoint. Souvent, on ne les écoute pas, mais les chiffres que je cite ici parlent à tout le monde. J’ai choisi de me focaliser sur le couple hétérosexuel car il représente encore un idéal de vie pour beaucoup, un modèle, avec des normes. Il faut correspondre à une répartition des rôles : l’homme chef de famille d’un côté, la femme douce créature, jolie, aimante et dans le don de soi, de l’autre. Celle qui cherche à être aimée, mais qui ne compte pas.

Les inégalités de dépenses commencent avant la mise en couple. Est-ce une surprise ?

Non, les femmes hétérosexuelles célibataires sont déjà dans la quête de cet idéal. Elles vont chercher à être belles, à s’apprêter, se maquiller, se rendre sexuellement disponible dans le but d’être perçues comme "la bonne candidate" au couple. Il y a d’abord la "charge esthétique" : l’épilation que je chiffre à 21.000 euros dans une vie (60 euros par mois sur 35 ans), puis les produits de beauté et le maquillage, soit 1.000 euros dans ma salle de bain personnelle, alors que cela représente 4,99 euros pour mon conjoint… Il y a aussi la contraception qui représente environs 4.900 euros dans une vie, et pas 2 euros la pilule comme on l’entend souvent, et les rendez-vous chez le gynécologue, l’évitement des MST, tout ce qu’on appelle "la charge sexuelle. On nous répond que les femmes ont le choix de ne pas se plier à ces normes, mais celles qui le refusent en payent le prix, et les critiques. Tout cet argent, tout ce temps, on ne l’investit pas pour nous, mais dans le couple ou la quête d’un partenaire. Le premier prix à payer, c’est l’oubli de soi…

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Le prix à payer: ce que le couple hétéro coûte aux femmes, d'après Lucile Quillet

Qui gère le budget du couple ? A qui cette gestion est-elle attribuée ?

L’exemple de Jeanne, ma grand-tante de 81 ans et femme au foyer parfaite des années 60, est éloquent. Quand son époux décède, elle a fait face à une pile de papiers, son incapacité à savoir gérer l’argent et sa culpabilité. Et ça ne s’arrange pas dans les catégories sociales aisées : plus il y a d’argent dans un couple, plus les femmes en sont tenues éloignées. Ca n’a pas disparu de nos jours… Les hommes vont gérer les gros postes de dépense, écrits et valorisés socialement : l’immobilier, la voiture, les prêts et les vacances. Ce sont à la fois les stocks et ce qui permet de briller en société. Les femmes vont gérer les flux, les courses et les dépenses quotidiennes, elles sont débrouillardes. Plus le foyer est précaire, plus elles gèrent l’argent, trouvent les bonnes combines, vont à la CAF, récupèrent la pension alimentaire (170 euros en moyenne, sic). On dit qu’elles ne sont pas douées avec l’argent, mais c’est faux.

Comment mieux répartir les dépenses entre les hommes et les femmes ?

J’ai été surprise de voir le nombre de couples qui se répartissent les dépenses à 50/50. Et de femmes qui pensent ainsi défendre leur honneur, montrer qu’elles ne sont pas entretenues. Elles se sentent obligées d’être égalitaires dans une société qui ne l’est absolument pas : il y a 42% d’écart moyen entre les revenus des deux conjoints. Elles sont plus jeunes que leur mari, travaillent dans des secteurs plus féminisés et donc moins rémunérés. Cette situation est profondément injuste car elles vont moins épargner et donc investir dans leur avenir.

Répartir les dépenses au pro rata de ce que gagne chacun est un peu plus équitable. Mais ce n’est pas parfait parce qu’il y a un effet d’entraînement : celui qui gagne le plus donne le la sur le logement ou les vacances. Que faire si l’homme offre des vacances à Cuba, quand sa femme n’avait les moyens que de partir au camping ? La femme bascule dans la dette permanente et la culpabilisation. Je défends un pro rata déculpabilisant où la discussion sur l’argent est libre : qui dépense quoi, qui paye le périssable et qui investit…

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Pourquoi l’inégalité dans les tâches ménagères est un problème plus lourd qu’il n’y paraît ?

Pour commencer, 72% des tâches domestiques de base sont réalisées par les femmes. A la mise en couple, une femme réalise sept heures de ménage hebdomadaire en plus, l’homme deux en moins. A chaque enfant, l’écart se creuse. On ne se rend pas compte, mais c’est un coût d’opportunité pour les femmes. Celle qui doit aller chercher les enfants à 17h ne peut pas exercer n’importe quel métier. Les hommes d’aujourd’hui n’auraient pas ces métiers si les femmes ne géraient pas tout au quotidien. Avec cette enquête, j’ai changé de définition du travail : c’est une activité qui génère de la valeur ou des opportunités pour quelqu’un d’autre que soi.

Qu’est-ce qui les attend à la séparation ou au décès de leur conjoint ?

La carrière de l’homme a un "effet locomotive", quand tout le monde est dans le wagon, la femme en profite. Mais au moment de la rupture, l’épouse sort du train et continue à pieds… Les femmes perdent en moyenne 20% de leur niveau de vie, malgré la pension alimentaire. J’ai été choquée que les pensions de réversions des veuves ne soient versées que si elles étaient mariées, et pas si elles se remarient derrière ! Ou que toucher 50% de la retraite du mari soit conditionné au niveau de revenu. Je ne sais pas si ça veut dire que les femmes doivent toujours dépendre d’un bienfaiteur, mais la pension de réversion est perçue comme une faveur. L’Etat fait des économies avec ces logiques, économies sur le dos des femmes.

Quelles sont vos solutions pour améliorer la situation financière des femmes ?

Ca peut paraître un peu radical, mais je prône un salaire domestique pour les femmes au foyer, afin de les aider à acquérir leur indépendance financière. Elever des enfants, de futurs citoyens, ceux qui paieront bientôt les retraites, c’est un vrai travail. Je souhaite aussi que les femmes aient un réel revenu à la retraite et dans la pension de réversion, que je rêve aussi valable en cas de concubinage. L’Etat devrait voter un congé paternité égal au congé maternité, ce qui obligerait les entreprises à adopter des politiques RH plus inclusives. Le gouvernement devrait aussi ouvrir plus de crèche et mieux rembourser la contraception. Enfin, pour plus d’égalité, l’impôt sur le revenu devrait être calculé de manière individuelle, non pas sur les ressources du foyer.

Le prix à payer, ce que le couple hétéro coûte aux femmes, Lucile Quillet, octobre 2021, Les liens qui libèrent (LLL), 19 euros.