« Que l'Etat nous donne des moyens ! » : le cri du cœur du directeur de l'Ehpad de Lezoux (Puy-de-Dôme) après le scandale Orpea

« Que l'Etat nous donne des moyens ! » : le cri du cœur du directeur de l'Ehpad de Lezoux (Puy-de-Dôme) après le scandale Orpea

L’auteur du livre parle de “maltraitance institutionnalisée” en Ehpad, cela vous choque ? « Non, je suis complètement d’accord avec lui. Nous ne sommes pas des maltraitants, c’est l’État qui nous maltraite. On assume ce terme de maltraitance institutionnalisée car c’est la réalité, mais on souffre au quotidien. »

Quelle est la principale difficulté d’un Ehpad au quotidien ? « Le personnel. On n’en a pas assez. On n’arrive même pas à recruter sur des postes vacants. »

Quelle est votre explication ? « Ce sont des métiers qui ont du sens et pour lequel il faut mettre son cœur. Les gens veulent aujourd’hui des métiers qui les épargnent et leur demandent moins d’investissement. »

N’est-ce pas une question également de salaire ? « Le Ségur de la Santé a arrangé les choses mais le fond du problème n’est pas là... »

Quelle est la faille du système selon vous ? « La vieillesse fait peur et n’intéresse personne. Les politiques n’ont rien fait. Ces pauvres vieux, on les laisse mourir à l’hôpital ou chez eux car tous n’ont pas les moyens de payer l’Ehpad. On ne veut pas voir la vieillesse en face. Regardez les magazines, vous y voyez des personnes âgées très belles, dont l’âge ne se voit qu’à la couleur blanche de leurs cheveux. La réalité ce n’est pas ça ! »

Le Covid a-t-il aggravé les choses ? « C’est une calamité. Ça nous rend fou. On travaille en dégradé. Les effectifs sont déjà limités, alors quand vous avez des absences car le personnel a le covid ou qu’un enfant d’un salarié est malade, cela devient catastrophique. À force de tirer sur la corde, je connais des tas de soignants qui ont lâché. »

Le prix moyen d'une place en Ehpad est de 2.000 euros. Photo Jeremie FulleringerQue pensez-vous de “l’Ehpad bashing” actuel ? « C’est de “l’État bashing” qu’il faudrait faire. Comment fait-on de la qualité avec trois aides soignantes pour trente toilettes ? Les jeunes qui arrivent de l’école ont appris à les faire en trente minutes. Ici, il faut en faire quinze dans la matinée ! Les résidents ne sont pas forcément heureux. On est sur des métiers du “prendre soin” et on n’a pas le temps. Si au moins ce livre peut faire remonter le sujet sur la pile, ce sera une bonne chose. Car il y a urgence. »

Maltraitance en Ehpad : un électrochoc suite aux révélations du livre « Les Fossoyeurs » ?

La rentabilité des groupes privés dénoncée dans l’ouvrage “Les Fossoyeurs” pose question ? « Est-ce que des groupes privés portés par des fonds d’investissement doivent être autorisés à faire le commerce de la vieillesse ? Peut-on tirer bénéfice des personnes âgées ? Je vous laisse juge… »

« C’est l’État qui nous maltraite ! »

Quelles pourraient être les solutions ? « La vieillesse n’est pas une maladie, en revanche c’est une conséquence d’une invalidité. Que ce soit un diabète, un problème de cœur, de marche…, autant de pathologies qui sont prises en charge par l’assurance maladie. J’ai l’exemple d’un résident de 99 ans qui a été opéré d’une appendicite sans débourser un centime, alors qu’il paye 60 euros par jour ici à l’Ehpad. C’est illogique. La vieillesse devrait être prise en charge par l’État. »

Cette prise en charge est-elle réalisable ? « Prendre en charge la dépendance en diminuant le reste à charge des résidents et en augmentant l’effectif en personnel coûterait 10 milliards par an. C’est un choix de société. Aujourd’hui, pour changer des sous-marins, ou décider de faire du “quoi qu’il en coûte” on trouve bien l’argent ! Quand on veut on peut. Et quand on se donne les moyens, on trouve. »

Visites à l’improviste, contrôle renforcé…, les propositions des candidats à l’élection vous paraissent-elles suffisantes ? « Qu’ils viennent quand ils veulent qu’on leur explique nos problèmes ! Il ne faut pas se tromper d’objectif. Le but, ce n’est pas d’aller emmerder les directeurs ou les salariés. Si les gens ne travaillent pas bien c’est qu’ils n’ont pas les moyens. Et tous les jours on crie pour en avoir ! Les familles l’ont bien compris. Elles sont bienveillantes. En 2018, elles ont manifesté à nos côtés. »

Emmanuel Macron a pourtant fait la promesse d’une loi autonomie ? « On l’attend toujours… Malheureusement on a pris l’habitude d’attendre. Et puis il faut se méfier des effets d’annonces. À titre d’exemple, ils nous ont récemment promis 2 milliards d’aide sur 5 ans et la création de 10.000 emplois. Cela peut paraître extraordinaire, merveilleux… Mais la réalité, c’est que 10.000 emplois sur 5 ans, cela n’en fait plus que 2.000 par an à répartir sur les 7.000 établissements. Au bout du bout, cela ne représente rien du tout. À Lezoux, ça m’apporterait l’équivalent d’un quart de temps plein. »

Qu’est-ce qui vous fait tenir ? « On les aime “nos petits vieux”. Et puis, ils feraient quoi sans nous ? »

Carole Eon