L'interview d'Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie: "Le made in France n'est pas qu'un slogan"

L'interview d'Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie: "Le made in France n'est pas qu'un slogan"

Chiffres

LSA - Grande Exposition du Fabriqué en France à l’Élysée, sommet Choose France… Ces derniers jours, le made in France a été mis à l’honneur. Pourquoi ces événements ?

Agnès Pannier-Runacher - Pour paraphraser une formule célèbre, « France is back ! ». La crise sanitaire a conforté l’intuition du président de la République que la reconquête industrielle est une priorité. Pas seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan social, car les emplois industriels sont mieux rémunérés et proposent de vraies carrières à des personnes ne disposant pas d’un important bagage académique. Cette reconquête industrielle est aussi une réponse au problème de la fracture territoriale que connaît notre pays. En effet, entre 2000 et 2016, la France a perdu un million d’emplois industriels, principalement dans les territoires ruraux et périphériques : quand une commune perd une usine, ce sont des services qui se replient, des commerces qui ferment… ou une classe de l’école qui est supprimée.

Quid aujourd’hui de cette reconquête ?

A. P.-R. - Dès son élection, Emmanuel Macron a voulu relancer l’industrie, d’abord en créant un choc de compétitivité au niveau fiscal mais aussi administratif avec les mesures de simplification portées, notamment, par la loi Pacte et la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) de décembre dernier. Dès 2018, nous avons lancé Territoires d’industrie, pour accélérer localement le développement industriel. Depuis, ce programme a permis d’accompagner 900 entreprises. En ajoutant les autres dispositifs du plan France Relance, c’est plus de 10 000 industriels qui ont été soutenus. Sachant que le pays compte 33 000 entreprises industrielles de plus de cinq salariés, c’est donc près d’une entreprise sur trois qui a été accompagnée. Cet investissement ne connaît pas de précédent : depuis le lancement, en septembre, de France Relance, près de 40 milliards d’euros ont déjà été engagés. Dans l’industrie, plus de 500 projets de relocalisation ont été soutenus pour 2,4 milliards d’euros d’investissements et plus de 40 000 emplois confortés ou créés.

Quelles sont les entreprises soutenues ?

A. P.-R. - Certains appels à projets nationaux ciblaient des secteurs critiques comme la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, la 5G ou le nucléaire. Mais dans le cadre de Territoires d’industrie, nous avons pu accompagner des entreprises venant de tous les secteurs, notamment dans le textile ou la métallurgie. Tous ces investissements ont deux principales conséquences. D’abord, ils ont permis de faire émerger des champions cachés sous le radar des décideurs publics, intervenant souvent sur des marchés de niche mais forts à l’export. Ensuite, ils ont créé de la fierté autour de ces entreprises, ce qui est, à mes yeux, essentiel car la croissance se construit sur la confiance. De plus, ces investissements ont été réalisés avant et pendant la crise sanitaire. Ces coups de pouce de l’État ont permis aux entreprises de prendre le risque de se lancer dans de nouveaux projets malgré le contexte incertain. Or, c’est durant les crises qu’il faut investir : on anticipe au mieux la sortie de crise et on distance ses concurrents.

La crise sanitaire a aussi accru l’intérêtdes consommateurs pour le madein France. Qu’en pensez-vous ?

L'interview d'Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie:

A. P.-R. - C’est une tendance sociétale depuis plusieurs années qui va de pair avec le développement de l’économie sociale et responsable. Si, avant le premier confinement, les consommateurs s’intéressaient déjà à l’écologie, la crise a renforcé la volonté d’être solidaires vis-à-vis des entreprises locales et des emplois français. C’est un mouvement important, car le « fabriqué en France » est confronté à un problème de prix, et le supplément que les consommateurs peuvent ou souhaitent payer est modeste.

Comment accompagner cette tendance ?

A. P.-R. - Tous les acteurs ont un rôle à jouer. Pour les responsables politiques, il s’agit d’améliorer la compétitivité du « site France » pour que les entreprises puissent avoir des prix plus compétitifs. Un produit français peut offrir une meilleure qualité de service, un circuit plus court… Ce sont ces aspects qui doivent être valorisés afin que les consommateurs se les approprient. Le made in France n’est pas qu’un slogan. La démarche doit être générale, et elle est vertueuse : les distributeurs gagnent de l’argent en distribuant des produits français accessibles et durables, les fabricants et producteurs gagnent de la marge pour continuer à investir, cela crée de l’emploi dans les territoires, et l’État s’y retrouve via les impôts et les charges sociales. Reste à savoir combien nous sommes prêts à payer pour être sûrs de ne pas manquer de produits essentiels, tels les masques, le gel hydroalcoolique ou même les pâtes ou les œufs, qui ont connu des tensions durant le premier confinement. Cette période a d’ailleurs mis en valeur l’extrême agilité de nos industriels qui ont été capables de répondre rapidement à la demande. Mais la crise a montré que le risque de rupture est réel : cela a été un choc collectif et, même, une blessure d’orgueil. Alors que la France s’était tournée vers un modèle économique principalement axé sur les services et l’innovation de pointe, on s’est aperçu que la production est une nécessité pour résister à un incident extérieur. Fabriquer en France est une assurance pour nos approvisionnements.

Quels sont les freins au redéveloppement de l’industrie tricolore ?

A. P.-R. - À long terme, c’est la question de la compétitivité sur laquelle nous travaillons depuis quatre ans. À court terme, les délais et le prix des approvisionnements et les difficultés de recrutement peuvent peser sur la relance. Pour ce dernier point, le gouvernement propose un investissement massif dans la formation professionnelle avec un dispositif permettant aux entreprises de créer leurs centres de formation. La faible attractivité du monde industriel est un obstacle : alors qu’en Allemagne, ces métiers et l’apprentissage sont très valorisés, en France, ce sont les études longues qui sont vues comme des filières d’excellence. De plus, peu de jeunes ont dans leur entourage des proches qui travaillent dans l’industrie. Ces métiers sont méconnus alors qu’ils offrent souvent des conditions de travail et des salaires meilleurs que dans les métiers de services. On doit refaire connaître ces métiers dans les collèges, affiner l’orientation des jeunes, ouvrir les carrières scientifiques aux femmes. Il faut recréer du désir et de l’excellence pour ces métiers. Du côté des approvisionnements, certains entrepreneurs engagés et précurseurs recréent des filières, redéploient des savoir-faire ancestraux en les modernisant… C’est le cas dans le textile où l’on voit renaître la filière du lin avec la réouverture de filatures dans les Hauts-de-France, où il a fallu aller rechercher les anciens salariés, parfois retraités, pour former les nouveaux employés. L’industrie, ce n’est pas que la technologie et l’innovation, c’est aussi de belles histoires humaines.

Quel est le poids du made in France dans la consommation des Français ?

A. P.-R. - Le poids des produits fabriqués en France dans les achats de biens de produits manufacturés atteint 36 %, avec une part non négligeable de produits agroalimentaires. On est donc loin de l’Allemagne, où cette proportion atteint 50 %. Mais il suffirait de déplacer de quelques points la consommation pour que tout le monde y gagne. C’est l’un de nos enjeux.

Les labels et autres certifications du made in France pourraient y contribuer ?

A. P.-R. - Il existe une vaste palette de mentions autour du « fabriqué en France »… avec parfois la tentation de la « francisation », avec des codes couleurs ou allégations donnant le sentiment que le produit est fabriqué en France alors qu’il n’en est rien. C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec la DGCCRF et la Direction des douanes. Mais les consommateurs deviennent aussi acteurs en ce domaine, en recherchant plus d’informations sur leurs produits. Il faut les aider à décoder ces signaux en les informant sur l’étiquetage, les différents labels…

Pensez-vous qu’il faudrait simplifier ou harmoniser ces labels ?

A. P.-R. - Les règles du commerce international et de l’Union européenne interdisent à un État de donner, sauf exceptions, l’origine des produits. De même, l’utilisation du drapeau tricolore est complexe à réglementer. Mais les producteurs et les acteurs partenaires privés peuvent travailler à la clarification des labels. Depuis mars 2020, j’ai demandé au Conseil national de la consommation d’avancer sur une méthodologie commune pour valoriser les produits d’origine et de fabrication française. Le résultat de ses travaux devrait bientôt être rendu. Une harmonisation dissiperait les incompréhensions autour du « fabriqué en France » et lutterait contre la tentation de « franciser » des produits.

Quel rôle pourraient jouer les distributeurs ?

A. P.-R. - D’abord faire de la pédagogie en magasin et accroître la visibilité des produits français. Certes, le prix reste, pour certains types de produits, un frein. Mais on pourrait imaginer des collections mettant en avant le « fabriqué en France » et jouant aussi sur le thème de l’écoresponsabilité, car nos normes environnementales et sociales sont plus fortes que dans la plupart des autres pays. Il conviendrait aussi de faire des French Days un événement plus large et, pourquoi pas, lancer un Blue Friday, qui mettrait en avant les produits fabriqués dans nos usines à la place du Black Friday. L’industrie ne pèse que 12 % de notre économie, mais elle en est la colonne vertébrale : c’est elle qui fait tenir autour d’elle tout le pays.

Propos recueillis par Véronique Yvernault

France Relance, le plan pour raviver l’industrie françaiseEn septembre 2020, Jean Castex présentait France Relance, feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays née après une concertation visant à tirer les enseignements de la crise sanitaire. Objectif : bâtir la France de 2030. Le gouvernement et l’Europe ont dégagé 100 milliards d’euros, dont 40 alloués aux investissements et à la transformation des entreprises, autour de quatre axes : décarboner, relocaliser, moderniser et innover. Déjà, 30 milliards ont été investis, notamment pour soutenir 500 projets de relocalisation.Son parcoursÀ 47 ans, Agnès Pannier-Runachera déjà un CV bien rempli. Diplômée de HEC en 1995 et ancienne élève de Science Po Paris et de l’ENA, elle débute à l’Inspection des finances, avant de devenir directrice de cabinet du directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. En 2006, elle rejoint la Caisse des dépôts et consignations (CDC), comme directrice adjointe chargée de la stratégie et des finances, où elle participe à la mise en place du Fonds stratégique d’investissement, dont elle est nommée directrice exécutive en 2009. Après un passage à la tête de la division R & D de Faurecia, elle retourne à la CDC avant de rejoindre En Marche ! en 2016. En 2018, elle est nommée secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, puis, en juillet 2020, ministre déléguée chargée de l’Industrie.Les savoir-faire français à l’ÉlyséePour la deuxième année, les produits tricolores se sont invités début juillet au palais de l’Élysée, à l’occasion de La Grande Exposition du Fabriqué en France. Pour cet événement visant à valoriser les savoir-faire tricolores, 126 objets ont été mis à l’honneur, représentatifs des différents départements et territoires français et sélectionnés par un jury d’experts du made in France parmi 2 325 dossiers. On y trouve aussi bien des jouets que des produits alimentaires, du textile, des cosmétiques mais aussi un avion de tourisme et même des composants de rails de chemin de fer. Était aussi exposé un container de produits de la French Fab, marque collective du made in France lancée en 2017 par Bruno Le Maire, qui sillonnera cet été les stations balnéaires françaises lors de la tournée le Big Tour, organisée par Bpifrance. Le made in France à l’assaut des plages…